À la maison des artistes visuels, on a réuni huit chambres dans une seule pièce pour l’exposition d’Anita Lebeau intitulée 8 rooms! Alors, bien sûr, on parle de huit chambres au format maison de poupée. 

Alors que l’on suit le sens de visite, les espaces miniatures s’enchaînent et le spectacle, à chaque fois, est surprenant. Espaces, chambres, décors? À vrai dire, difficile de s’accorder sur la terminologie. Certaines pièces en effet s’apparentent réellement à des chambres. Un lit, une table de chevet, une liseuse, bref, des meubles tout ce qu’il y a de plus classique si ce n’est qu’on pourrait les transporter tous emmitouflés dans un bas de laine. D’autres en revanche sont complètement surréalistes, parfois mystiques, cauchemardesques ou féériques, mais toutes se prêtent parfaitement au jeu de ce projet artistique initié par la réalisatrice de films Anita Lebeau. 

« Tous les décors exposés ici sont utilisés dans mon film, explique-t-elle. » Le film en question est un court métrage d’une dizaine de minutes, qui mêle l’animation au tangible, « mes personnages Sarah et son chat Sunny vont visiter et évoluer à travers les décors que les artistes ont créés pour le projet. »

court-métrage
Grâce à la magie du numérique, cette pièce, fabriquée par Heather Komus, se remplie d’eau dans le court-métrage. (photo : Marta Guerrero)

Voyage 

Les artistes ayant participé, autre qu’Anita Lebeau, sont donc au nombre de sept à savoir : Heather Komus, Reva Stone, Suzie Smith, Barb Flemington, Shirley Brown, Seema Goel et enfin, Diana Thorneycroft. 

« Sarah est une grande globe-trotteuse, et alors qu’elle planifie son prochain voyage, elle va se retrouver dans le monde de l’imagination et voyager de rêve en rêve. » Ou plutôt, de décor en décor. 

Parce que le thème commun à toutes ces créations est celui du rêve, les artistes ont pu laisser libre cours à leur imagination, mis à part quelques points, ces derniers n’ont souffert d’aucune restriction. « Étant donné que nous souhaitions exposer les espaces, il fallait qu’ils ne dépassent pas une certaine taille. Cela dit, même s’ils ne sont pas tous à la même échelle, ça ne m’a pas posé problème, mes personnages étant numérique, je pouvais adapter leur taille lors de la réalisation du film. J’avais également besoin d’un point d’entrée et de sortie dans chacun des décors, mais l’idée était vraiment que les artistes suivent leur instinct et leurs envies. » Liberté fut donc le mot d’ordre tout au long de la concrétisation du projet. 

« Toutes les chambres ont été disposées dans un studio, ensuite nous les avons photographiées et filmées sous tous les angles possibles. J’ai ensuite animé mes personnages directement sur les images depuis mon ordinateur. »

Anita Lebeau
Coffee Break
De loin l’oeuvre la plus effrayante : Coffee Break at the Sanatarium, par Diana Thorneycroft. (photo : Marta Guerrero)

Collaboration

Mais la cheffe d’orchestre avait tout de même une vision de départ, il a donc parfois fallu discuter et échanger pour que la collaboration soit fructueuse. Ce fut le cas avec l’artiste multidisciplinaire, Seema Goel. Au fond de la galerie contemporaine, près des grandes fenêtres, dans un décor de la taille d’une grande boîte à chaussure peinte en bleue, une vingtaine de papillons de papier agitent leurs ailes. Seema Goel, armé de fil de pêche, s’affaire à relier ses petites bêtes à une manivelle en bois. « Comme ça, tourner la manivelle fait battre les ailes des papillons », explique-t-elle. 

« Au départ, j’ai envoyé à Anita une vidéo d’un envol de papillons vivants, mais ça ne fonctionnait pas, alors nous avons discuté plus longuement du projet pour trouver une solution. » En effet, pour que la création du court métrage se passe au mieux, il fallait que les décors soient fixes et palpables. Anita Lebeau, la réalisatrice, parle de son processus de création.

« Toutes les chambres ont été disposées dans un studio, ensuite nous les avons photographiées et filmées sous tous les angles possibles. J’ai ensuite animé mes personnages directement sur les images depuis mon ordinateur. » Les personnages en deux dimensions sont en fait pareils à des marionnettes numériques, ils sont dotés d’articulations avec lesquelles Anita Lebeau joue pour leur donner vie, les mettre en mouvement. « Dans le cas de la chambre fabriquée par Seema, un compromis a été trouvé puisque la pièce au papillon a été filmée pendant que ces derniers battaient des ailes mécaniquement. » 

Un travail minutieux 

L’utilisation des décors là encore est constituée d’un mélange entre l’utilisation de photos, de vidéos ou encore d’animation pas-à-pas. Autant de décisions que la réalisatrice a dû prendre au dernier moment. « Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre de la part des artistes. C’était une véritable surprise, je souhaitais découvrir les créations en même temps que les personnages du film. » Dans ce cas de figure, on peut parler de surprise totale, car Anita Lebeau ne connaissait pas du tout le travail de six des sept artistes impliqués dans le projet. 

Quoi qu’il en soit, les sept n’ont pas déçu, toutes les pièces sont étonnantes, tant leur visuel que les matériaux utilisés pour les fabriquer. Un évier, ou encore une pièce parfaitement sombre faite avec les morceaux d’un tableau noir d’école, les artistes n’ont pas manqué d’inspiration et pas une seule pièce ne ressemble un tant soit peu à la suivante. 

Le niveau de détails apporté à la décoration de certains de cet espace est ahurissant et saisissant d’ingéniosité. C’est un réel travail de précision. 

Christmas at the Brothel
Tout ce qui apparaît sur cette photo, n’est pas plus grand qu’un pouce. Christmas at the Brothel, par Shirley Brown. (photo : Marta Guerrero)

Fabrication

Anita Lebeau s’est notamment chargée de la fabrication de l’appartement du personnage de Sarah. Il s’agit d’un grand duplex (à échelle réduite bien entendu) qui déborde de toute sorte de choses. Il y a des cartons remplis de livres, des meubles, des affiches sur les murs, mais aussi les versions matérielles de Sarah et Sunny

« J’ai fait toutes les pièces de décoration à partir de morceaux de carton sur lesquels j’ai dessiné des modèles. Pour le frigidaire, j’ai réutilisé la boîte de mon téléphone, pour la librairie j’ai utilisé des bâtons de glaces et pour faire des petits livres, j’ai imprimé les couvertures au format timbre. » Petit détail cocasse, les murs de l’appartement de Sarah sont couverts de photos de famille, de la famille d’Anita Lebeau. « Il y a mon mari, ma mère, mon père et mes soeurs! Je n’ai pas mis mes filles en revanche, c’est honteux (rires). » 

Finalement, dans la dernière pièce de la Maison des artistes visuels francophone, derrière un épais rideau noir, les visiteurs pourront découvrir le court métrage 8 rooms qui sera projeté en boucle. Ils réaliseront alors qu’en suivant le sens de visite de la galerie contemporaine, ils viennent de vivre la même aventure que Sarah et son chat.