Depuis le trottoir d’en face, l’entrée de l’hôtel McLaren n’a pas grand-chose d’accueillant. Au pied de ce géant de briques rouges, deux femmes sont assises sous l’enseigne de l’hôtel, d’un bleu si morne qu’il semble aussi vieux que l’immeuble lui-même. Elles fument, assises l’une près de l’autre, en silence… Ici, le décor n’a rien d’idyllique.

Ce sont les frères Archibald et Alexander McLaren qui ouvrent l’hôtel au début des années 1910. 150 chambres, sur six étages et à quelques minutes du quartier de la Bourse, la bâtisse est longtemps restée une véritable mine d’or réputé pour son côté luxurieux.

Plus de 100 ans après sa construction, l’hôtel, c’est indéniable, a beaucoup perdu de sa superbe allure.

Une fois passé le lobby, l’état de décrépitude dans lequel se trouve l’immeuble saute aux yeux. Sébastien de Lazzer, Aaron Paquin et Kieran Tozeland-MacDonald, mènent la visite. Tous les trois font partie de Equal Housing Initiative, un organisme à but non lucratif qui a la ferme intention de faire changer les choses.

Sébastien de Lazzer
Sébastien de Lazzer a cofondé l’organisme Equal Housing Initiative avec Richard Lees et Erwin Dayrit en 2021. (photo : Marta Guerrero)

Ressources historiques

Pour une durée de trente ans et pour un dollar symbolique, l’organisme louera le bâtiment à partir de fin juin début juillet, afin de le rénover entièrement, ou  presque. La  bâtisse a été inscrite sur la liste des ressources historiques de la Ville en 2020. La façade ne peut donc pas être touchée. Par conséquent, les travaux de rénovation concerneront seulement l’intérieur qui n’a pas vraiment changé pour le mieux depuis 1911.

La première chose que l’on remarque, ce sont les fenêtres, la plupart couvertes en partie par d’épaisses couches de ruban adhésif. « C’est du simple vitrage, lance Sébastien de Lazzer. Vous êtes à Winnipeg, il fait -40°C l’hiver et c’est du simple vitrage, répète-t-il, comme pour souligner l’absurde. Le simple fait de changer les fenêtres pourrait nous faire sauver 55 % des dépenses énergétiques. »

Visiblement, il n’y a pas que les vitres qui sont fragiles, certains murs sont si creusés qu’on verrait presque à travers. Sébastien de Lazzer s’arrête devant un pan de mur qui laisse apparaître sa charpente. Alors que les contours s’effritent d’eux-mêmes, il explique que des traces d’amiantes ont été trouvées.

Au sommet de la première volée de marche, au deuxième étage, une machine à laver et un sèche-linge, que l’immeuble tout entier utilise, trônent au centre du hall. Depuis le fond de la pièce, deux couloirs s’étendent d’un côté et de l’autre, il y a 25 chambres individuelles par étage. Chaque aile comporte une salle de bain (deux par étages) que les résidents se partagent. Celle que La Liberté visite est simplement inutilisable. Pas de pommeau de douche et pas de bouchon, la baignoire a autant d’utilité qu’un lavabo. Pas âmes qui vivent à cet étage-là, si ce n’est une petite souris qui longe le mur nonchalamment. En bref, le logement est complètement insalubre.

salles de bain
L’une des salles de bain que les résidents se partagent. (photo : Marta Guerrero)

Des travaux

À l’étage suivant, l’odeur de la cigarette est remplacée par un délicieux fumet. À l’aide d’une longue rallonge branchée tout au bout du couloir, Jimmy Taranquis, résident de l’hôtel McLaren, cuisine sur une plaque chauffante  disposée sur une simple planche en bois posée sur un lavabo dans sa petite chambre individuelle. Ici, les loyers coûtent entre 450 $ et 490 $ pour les six chambres qui sont équipées d’une salle de bain. S’il est resté flou sur la façon dont il a payé son loyer jusqu’ici, une chose est certaine à propos du locataire. « J’ai toujours aimé cuisiner, j’aidais déjà ma mère quand j’étais tout petit. »

Sans jamais cesser de sourire, Jimmy Taranquis raconte qu’il s’est installé dans cet hôtel après avoir terminé un « programme » pour se sortir de sa dépendance à la drogue. Il vit dans cette chambre depuis 2012. « Vivre ici est ok. Mais si je pouvais, je changerais tout! Mais j’aimerais surtout avoir une cuisine. »

Sébastien de Lazzer et ses collègues ont entendu le souhait de Jimmy Taranquis, comme celui de tous les autres locataires. « Nous leur avons demandé ce qu’ils voulaient, explique Sébastien de Lazzer, cofondateur de Equal Housing Initiative. Dans nos plans nous avons prévu une cuisine commune tous les deux étages, des salles de bain privatives avec des toilettes, un évier et une douche et les anciennes salles de bains seront transformées en buanderie. » Pour ce qui est du reste évidemment, les travaux auront aussi pour objectif de rendre plus vivable l’espace commun de l’hôtel.

Au niveau de l’administration municipale, le McLaren s’inscrit pour le moment dans la catégorie des hôtels de chambres à occupation simple (Single Room Occupancy hotels ou SRO). Ces derniers offrent généralement des chambres individuelles à longue ou courte durée et sont proposés par la municipalité ou des organisations sans but lucratif. « Nous allons justement changer cela pour que la législation en matière de logement soit respectée. À commencer par faire en sorte que les locataires aient un contrat de location avec la sécurité que cela implique. »

Budget conséquent

Pour ce faire, un budget de 12 millions $ sera consacré aux travaux de rénovation. Un budget conséquent, que l’organisme se verra financer principalement par ses bailleurs de fonds.

Mais le travail de Equal Housing Initiative ne s’arrête pas là, car au-delà de leurs conditions de vie, les résidents du 554 rue Main ont bien souvent un véritable besoin d’aide sociale. Car ces chambres à occupation simple marquent bien souvent l’ultime étape avant l’itinérance. C’est en tout cas le constat que tire Sébastien de Lazzer. « Plus de la moitié des gens qui vivent ici viennent d’un meilleur logement. » Les gens ne quittent donc pas la rue pour ces chambres, « ils perdent au contraire en qualité de vie ». Comme le soulignent les études menées par les gens de Equal Housing Initiative, « beaucoup des personnes qui vivent ici ont des problèmes de dépendance ou de santé mentale. Leurs situations sont extrêmement difficiles à stabiliser. » Une bonne partie des individus ici sont donc déjà sur une pente glissante. Celui qui est diplômé en science biomédicale et en santé publique parle « d’itinérance cachée ».

Ajoutez à cela le fait qu’aucun contrat de logement ne les protège, au moindre problème, les locataires peuvent être la cible d’une éviction.

Kieran Tozeland-MacDonald, Aaron Paquin et Sébastien de Lazzer
Kieran Tozeland-MacDonald, Aaron Paquin et Sébastien de Lazzer (de gauche à droite). (photo : Marta Guerrero)

L’organisme a donc une bonne compréhension de la population de l’hôtel, le genre, l’âge, mais surtout les déterminants sociaux et de santé. Et ces informations ont leur importance, car le projet de Sébastien de Lazzer et de ses collègues, ce n’est pas seulement de rénover, il s’agit aussi de mettre en place toute une série de structure de soutien et de services rendue possible notamment grâce au soutien du Réseau Compassion Network.

« La rénovation du bâtiment était la priorité au départ et les services de soutien devaient arriver après. Mais les problèmes observés au sein de la population de l’hôtel étaient si importants qu’éthiquement, on ne pouvait pas se permettre de ne rien faire. »

Ainsi, tout un travail de proximité et d’accompagnement est réalisé au quotidien. « Notre rôle, c’est d’aller les voir une fois par jour pour s’assurer que tout va bien, leur fournir du matériel de réduction des méfaits au besoin. Notre rôle consiste aussi à les encourager à chercher de l’aide. C’est un travail de longue haleine. »

« Ces gars-là font bouger les choses, ils font de bonnes choses. Je sens que cet endroit va devenir bien meilleur avec eux dans les parages. »

Jimmy Taranquis

Des initiatives

Le Winnipégois d’adoption, originaire de Belgique, illustre le travail accompli avec l’exemple suivant. « Nous avons eu un client qui n’avait pas pris de douches depuis 11 ans. Avec les travailleurs sociaux qui nous accompagnent, nous avons dû travailler sur l’image de soi et l’hygiène. Nous avons commencé ce travail en septembre et il y a quelques semaines, nous avons réussi. Cette personne a pris une douche et s’est même rendu chez le médecin. » Il y a un véritable travail psychologique qui entre en jeu dans le cadre de cet accompagnement, « cette douche, pour nous, c’était une immense victoire. »

Au niveau des structures d’aides proposées, l’initiative est aussi à l’origine d’un programme de nutrition opéré entièrement par des volontaires, dont Jimmy Taranquis fait partie. Car l’accès à la nourriture et une alimentation saine fait également partie des problèmes systémiques des SRO.

« C’est important de s’attaquer à ce problème d’insécurité alimentaire, explique Sébastien de Lazzer. Pour le moment, les résidents n’ont pas de cuisine, mais ils n’ont pas les moyens de cuisiner de toute façon, il n’y a aucun supermarché dans les environs. Alors ils se rendent dans des petits dépanneurs et se nourrissent de chips et de coke. »

Jimmy Taranquis
Jimmy Taranquis vit dans cette chambre de l’Hôtel McLaren depuis 2012. (photo : Marta Guerrero)

Tous les jeudis, de la nourriture offerte est préparée dans les cuisines de l’Armée du salut que cette dernière met à disposition. La nourriture est ensuite distribuée à tous les résidents. « Le programme est entièrement opéré par des bénévoles et à l’avenir, nous aimerions faire ça tous les jours et pas seulement les jeudis. »

Cela fait donc un peu plus de deux ans, que la petite équipe du 554 rue Main travaille auprès des 150 résidents de l’hôtel. Et tout ce travail leur a valu de gagner la confiance de certains et Jimmy Taranquis le premier. « Ces gars-là font bouger les choses, ils font de bonnes choses. Je sens que cet endroit va devenir bien meilleur avec eux dans les parages. »

Confiance

Une confiance gagnée à force de bonnes actions, mais aussi de parcours personnel. C’est notamment le cas de Aaron Paquin. Aaron Paquin est un ancien toxicomane qui, dorénavant, consacre toutes ses semaines à aider ceux qui sont toujours sous l’emprise de la drogue. « Certains ne veulent traiter qu’avec lui, il a une proximité folle avec eux. » De ce côté-là de la Ville de Winnipeg, force est de constater que la misère vit au grand jour, elle ne se cache pas. Être auprès d’elle quotidiennement, même si l’on reste du bon côté de la barrière, ce n’est pas forcément chose facile, « c’est usant ».

Aaron Paquin, admet que « certains cas collent à la peau. Les amis et la famille, ça aide à s’éloigner un peu ». Des propos avec lesquels Kieran Tozeland-MacDonald est d’accord. Le jeune homme est encore étudiant en travail social à l’Université du Manitoba, cependant il travaille quatre jours par semaine au sein de l’organisme dans le cadre de son stage d’étude. Pour lui aussi le meilleur moyen pour se désengager émotionnellement, c’est de parler. « On nous laisse la chance de beaucoup parler de notre expérience en salle de classe et ça permet de mettre un peu de distance avec ce que l’on vit pendant le travail. »

Sébastien de Lazzer, qui « n’a pas été formé pour ça » ajoute : « C’est difficile, mais ça remet les pieds sur terre, tu apprécies davantage ce que tu as. »