Elle fait partie des épidémies les plus meurtrières que la terre ait connues : le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), responsable du syndrome d’immunodéficience acquise, aussi appelé SIDA.
L’acronyme est aujourd’hui connu de tous, mais l’histoire de cette maladie sexuellement transmissible l’est beaucoup moins. En effet, dans l’imaginaire collectif, on pense à tort que l’épidémie de SIDA a débuté dans les années 1980.
Histoire de cette zoonose
Or, cette dernière commence discrètement dans le courant des années 1920. Discrètement parce que le VIH est en réalité ce que l’on appelle une zoonose. À savoir, une maladie qui s’est développée dans le royaume animal avant d’infecter l’être humain.
Dans le cas du VIH, il serait le fruit d’une mutation du VIS, qui aurait évolué chez les grands singes avant de remonter l’échelle de l’évolution et de s’en prendre à l’Homme. Alors que des doutes ont longtemps été émis quant à l’origine exacte du virus, ce sont les travaux d’une équipe de chercheurs, publiés en 2014, qui lèvent le voile une bonne fois pour toutes.
Si l’hypothèse de la consommation de viande de brousse revient souvent, il n’existe en réalité aucune certitude quant à savoir comment le VIH est passé du singe à l’Homme. Mais les recherches ont démontré que les premières transmissions vers l’être humain ont eu lieu, dans les années 1920 donc, à Kinshasa (aujourd’hui la République démocratique du Congo) en Afrique centrale.
Une épidémie invisible pendant 60 ans
Seulement voilà, les premières publications scientifiques faisant mention du SIDA n’apparaissent qu’en 1982 et le virus du VIH lui n’est découvert qu’en 1983 par les chercheurs français Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi de l’Institut Pasteur. Alors comment explique-t-on que l’épidémie soit restée invisible pendant près de 60 ans?
D’abord, la médecine de l’époque n’était pas la même, mais surtout, aussi terrible que cela puisse paraître, mourir d’une infection quelconque en Afrique coloniale, n’avait rien de surprenant et encore moins d’alarmant…
Dans le cas du SIDA, il faudra attendre que des hommes blancs en meurent pour que l’on en parle. Quant à savoir comment le virus a atteint le stade pandémique, l’étude mentionnée plus tôt, intitulée HIV Epidemiology. The Early Spread and Epidemic Ignition of HIV-1 in Human Populations souligne le rôle joué, entre autres, par l’urbanisation et la modernité dans la propagation du virus.
Avec le développement des voies ferroviaires, et l’industrie minière, de plus en plus de monde transite par Kinshasa, l’étude note aussi l’utilisation médicale de seringues non stérile. Avec le temps, le virus gagne de plus en plus de villes africaines et finalement, le Congo finit par attirer des migrants qui ramènent le virus dans leurs pays d’origine. Ainsi, le premier cas d’infection de l’Homme par le VIH est signalé à Kinshasa en 1959, mais il est déjà trop tard.
À la fin des années 1970, aux États-Unis, un mal encore inconnu commence à faire de plus en plus de victimes. Au début, principalement dans la communauté homosexuelle.
Il y a alors une hausse considérable du nombre de cas de sarcomes de Kaposi. Une forme rare de cancer provoqué par le SIDA que le public marginalise et rebaptise « le cancer gay ». Seulement voilà, la maladie, elle, ne fait pas de discrimination, et le monde scientifique réalise rapidement que tout le monde est concerné. Hommes, femmes et enfants, peu importe leur couleur de peau ou leur orientation sexuelle.
La maladie a bouleversé les sociétés, elle a permis de souligner les inégalités sociales et les discriminations. Mais elle a aussi rendu nécessaires certaines choses. Notamment la libération de la parole quant à l’orientation sexuelle. Le philosophe et sociologue français Daniel Defert dira du SIDA qu’il est un « réformateur social ».
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le SIDA a entraîné la mort de plus de 40,1 millions de personnes à travers le monde. Aujourd’hui, la maladie n’est plus la grande faucheuse qu’elle était. La recherche, une fois de plus, a su se surpasser. Mais a-t-elle pour autant triomphé?
L’efficacité des traitements
Julie Lajoie est associée de recherche en immunologie et virologie à l’Université du Manitoba, et sa réponse est nuancée. « La maladie est traitable, mais on ne peut pas la guérir », elle précise : « on peut donner aux patients une thérapie antivirale qui va empêcher le SIDA de progresser. »
Les traitements modernes sont si efficaces, qu’ils permettent de faire baisser la charge virale jusqu’à la rendre indétectable allant même jusqu’à empêcher sa transmission. Par conséquent : « Les personnes infectées peuvent vivre une très bonne vie, en bonne santé, mais ils ne peuvent pas en guérir. » La nuance est là. Le monde médical peut traiter, mais pas soigner.
Pourtant, à la fin du mois de février 2023, des médias titraient : SIDA : un nouveau cas de guérison confirmé. Le « patient de Düsseldorf » a complètement guéri du VIH. Il n’en a plus une trace dans le corps, et si la nouvelle est relayée partout, c’est que l’histoire ne compte que trois cas de guérison : Timothy Ray Brown, alias : « le patient de Berlin et « le patient de Londres », Adam Castillejo et « le patient de Düsseldorf » dont l’identité n’est pas connue.
Manitoba : une augmentation des cas
Sans même prendre en compte les cas d’infection au VIH dans le monde, fin 2020, on estimait que 62 790 personnes vivaient avec le VIH au Canada. Pour zoomer encore un peu, Manitoba HIV Program, qui estime soutenir environ 1 700 personnes atteintes du VIH dans la province, révèle dans un rapport que sur la période allant de 2018 à 2021, le nombre total de personnes vivant avec le VIH au Manitoba a augmenté de 52 %. Une augmentation que Julie Lajoie associe à la pandémie de COVID-19 : « Les gens ont eu moins d’accès aux tests et aux traitements (rendant le VIH non transmissible).
Ici, on compte de plus en plus de femmes hétérosexuelles parmi les nouvelles infections. Par consommation de drogues en intraveineuse ou relation sexuelle. La face de l’épidémie est en train de changer. »
Toujours est-il que trois cas de guérison, ça paraît bien peu de choses, presque miraculeux. Et dans les faits, ça l’est un petit peu!
Des guérisons miraculeuses?
Pour comprendre comment ces patients ont pu guérir du VIH, il faut d’abord comprendre comment fonctionne ce virus.
La docteure en virologie et immunologie répond. « Le VIH infecte les cellules du système immunitaire, particulièrement les cellules TCD4 qui jouent le rôle de chefs d’orchestre. Le VIH va donc s’attaquer au système immunitaire. Ce dernier n’est donc plus capable de se battre et les maladies opportunistes prennent le dessus. »
Le VIH est connu de la médecine depuis 40 ans, mais aujourd’hui encore, certaines spécificités du virus lui échappent et empêchent le développement d’un remède. « Le VIH est un virus qui nous joue beaucoup de tours, confie la chercheuse, il se cache.
Il reste en dormance dans certaines cellules pendant des années et se réveille de temps en temps. » Cela signifie que le virus est toujours en circulation dans le corps.
« Le VIH dépose son bagage génétique quelque part dans nos cellules et de là, il inonde le corps de virus. » Ces endroits où le virus se cache et reste dormant, c’est ce que l’on appelle un réservoir. Julie Lajoie explique que pour espérer une guérison complète, la recherche va devoir trouver un moyen d’identifier et de détruire ces cellules réservoirs, « c’est un défi qui, pour le moment, est resté insurmontable. »
Les patients qui en ont guéri sont donc des cas exceptionnels.
Pour se fixer à nos cellules, le VIH a besoin de deux récepteurs. « le CD4 qui lui permet d’identifier nos cellules. Le corécepteur CCR5 à la surface de nos cellules immunitaires. Sans ces deux récepteurs, le VIH est incapable d’entrer dans nos cellules. »
1 % de la population caucasienne est atteinte d’une rare mutation génétique, « ils n’expriment pas ce récepteur CCR5. » C’est en cela que le cas de nos patients est exceptionnel.
Lorsqu’une personne est atteinte d’un cancer, les médecins lui prescrivent presque toujours de la chimiothérapie. Ce traitement va venir détruire complètement ou en partie le système immunitaire du patient. La greffe de cellule souche intervient alors pour venir reconstruire le système perdu.
« Pour trouver un donneur pour ce genre d’opération, il faut rassembler un grand nombre de facteurs. Plusieurs gênes doivent correspondre. Là, les équipes cliniciennes sont allées encore plus loin en allant chercher dans ce vivier de 1 % de la population. Donc ça relève presque du miracle », conclut Julie Lajoie. La mutation va donc être adoptée par le système immunitaire du receveur et ne produira plus de récepteurs CCR5. Le patient devient alors immunisé contre le VIH.
Un avis nuancé
En revanche, si certains médias ont parlé d’espoir, Julie Lajoie, qui fait tout de même état « d’une avancée » a une vision un peu plus réservée sur la situation.
Au-delà du dilemme éthique qui accompagne le fait que la mutation responsable de la guérison concerne exclusivement la population caucasienne, et, par définition, exclut toutes les autres, la greffe de cellules souches est loin d’être une opération anodine. « La greffe de moelle osseuse intervient en dernier recours et elle nécessite que l’on fasse disparaître tout le système immunitaire du patient, le rendant très vulnérable à tous types d’infections. Il ne s’agit donc pas d’une solution pour guérir le VIH à grande échelle. On ne peut pas simplement prescrire une greffe de cellules souches alors que les risques qui accompagnent l’opération sont plus importants que de vivre avec le VIH. »
Maintenir la prévention
Il y a encore une petite quinzaine d’années, apprendre qu’une personne était infectée au VIH, c’était une condamnation à mort. Heureusement, les choses ont changé. « On a fait d’énormes progrès en ce qui concerne le traitement depuis les années 1990. Les traitements sont moins difficiles, moins douloureux et plus efficaces. Aujourd’hui avec la trithérapie on parle d’une à deux pilules par jour. On parle même d’une injection une fois par mois. » Beaucoup de choses donc en termes de médication, mais le vaccin n’apparaît pas encore dans les jumelles. Pour autant, pouvoir vivre avec le VIH ne signifie pas qu’il ne reste plus de défis à relever.
« Vivre avec le VIH pose une pression constante sur le système immunitaire. Les gens atteints développent plus sou- vent des cancers, mais aussi sont plus enclins à souffrir de démence. Maintenant que les gens vivent plus vieux, on découvre ce que cela signifie que de vivre et vieillir avec le VIH. » La spécialiste soulève d’ailleurs la question de la stigmatisation des séropositifs toujours « extrêmement importante. »
Il faut continuer de miser sur la prévention et faire confiance en la recherche qui, rappelons-le, ne s’arrête jamais.