Ces derniers temps, des médias ont donné la parole à des personnes transgenres francophones qui se détournent du français au profit de l’anglais, parce qu’elles ne se sentent pas à l’aise dans une langue qui exprime le réel de façon strictement binaire (1).
Le français, en effet, désigne tous les êtres et toutes les choses exclusivement au masculin et au féminin. Le genre neutre n’existe tout simplement pas, comme d’ailleurs dans aucune autre langue romane – c’est-à-dire issue du latin – à l’exception du roumain.
À l’inverse, la langue anglaise fait la part belle au neutre, puisque pratiquement tous les mots anglais qui ne désignent pas des êtres humains appartiennent à ce genre. De plus, le pronom « they » sert très utilement à désigner une personne sans distinction de genre. Exemple : « How do I ask someone what pronouns they use? ».
En français, le pronom neutre « iel » a fait une timide apparition ces dernières années et est même entré récemment dans les dictionnaires. Exemple tiré du Petit Robert : « Les stagiaires ont reçu les documents qu’iels doivent signer ». Mais ce nouveau pronom peine à s’imposer dans le langage courant, notamment parce qu’il ne règle pas le problème de l’accord (doit-on écrire iels sont contents ou contentes?).
Paradoxalement, l’évolution vers l’inclusivité que la langue française a suivie à partir des années 1970 a accentué son caractère binaire. Cette évolution linguistique, directement liée aux progrès en matière d’égalité sociale entre les hommes et les femmes, a consisté à donner une plus grande visibilité au genre féminin dans la langue.
Cela s’est traduit par quelques initiatives heureuses comme la féminisation des noms de professions, que plus personne ne remet en question. D’autres initiatives, moins heureuses, sont aujourd’hui progressivement abandonnées parce qu’elles alourdissent, enlaidissent ou compliquent excessivement la langue, ou tout simplement parce qu’elles sont inapplicables.
C’est le cas de l’utilisation systématique des doublets complets (les Manitobaines et Manitobains) ou des doublets abrégés (les Manitobain[e]s). Ces derniers présentent en outre l’inconvénient de minorer le genre féminin en le faisant figurer entre des parenthèses, des crochets ou des barres obliques, et toujours en seconde place après le masculin. Pour les mêmes raisons, le point médian (les Manitobain·e·s) n’est pas promis à un grand avenir.
Une tendance beaucoup plus prometteuse gagne en popularité : la rédaction épicène (ou neutre). Elle propose une approche exactement contraire à celle mentionnée précédemment : au lieu de rendre plus visible la marque du genre (féminin ou masculin), on l’efface quand elle n’est pas utile dans la phrase, en utilisant des mots ou des formulations épicènes, c’est- à-dire qui ne varient pas selon le genre.
Par exemple, personnel infirmier au lieu d’infirmières; direction au lieu de directeur ou directrice; Jeanne et Jean sont habiles au lieu d’adroits; recrues au lieu de nouveaux et nouvelles employé/e/s; spécialistes au lieu d’experts et expertes; zone sans fumée au lieu de zone non-fumeurs.
La rédaction épicène est beaucoup plus facile à employer qu’on ne l’imagine, pour peu qu’on y consacre quelques efforts (2). On constate alors que l’utilisation des formulations genrées est souvent routinière et arbitraire. En se forçant un peu, on trouve facilement d’autres solutions qui répondent à l’attente d’inclusivité et qui prouvent que dans ce domaine aussi, la langue française n’a pas dit son dernier mot!
(1) Voir par exemple « Gender nonconforming French Canadians hit roadblocks as they seek to make language more gender-neutral », CTV News, 8 janvier 2021 (http://bit.ly/3FLKvGT)
(2) Il existe plusieurs outils en ligne d’aide à la rédaction inclusive, notamment l’Inclusionnaire du gouvernement canadien, une sorte de dictionnaire des synonymes épicènes permettant de remplacer de nombreux mots genrés. Adresse : https://bit.ly/4029nBE