Inès Lombardo
« On souhaite mettre les efforts à la table de négociations pour s’assurer d’avoir une entente et livrer ces services-là », incluant les services offerts aux francophones du pays, a martelé la présidente du Conseil du Trésor Mona Fortier devant les journalistes le 19 avril.
« Cette grève va retarder tout ce que fait le gouvernement, analyse François Rocher, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ça touche aussi la modernisation de la Loi sur les langues officielles et la mise en œuvre du Plan d’action. Je vois difficilement comment c’est possible d’offrir via les organismes francophones sans fonctionnaires. »
L’universitaire estime également qu’à la fin de la grève, les fonctionnaires risquent de devoir travailler davantage pour rattraper le retard des affaires gouvernementales.
Enjeux salariaux
Depuis près de deux ans, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et le Conseil du Trésor négocient, entre autres, les conditions salariales et celles qui entourent le télétravail des fonctionnaires depuis la pandémie.
L’AFPC demande 4,5 % d’augmentation salariale par année pour les trois prochaines années. Mais le Conseil du Trésor a proposé 9 % d’augmentation salariale sur la même période dans sa dernière offre.
Une offre jugée insuffisante pour répondre au cout de la vie, estime Diane Girouard, fonctionnaire rencontrée sur les piquets de grève mercredi à Ottawa.
« Ce n’est pas assez. Avec les augmentations de l’épicerie, de l’essence, c’est plus abordable… J’ai aucune idée comment les jeunes font pour obtenir une maison. C’est presque impossible de vivre une vie calme sans le souci des finances », précise-t-elle.
Le retour au travail par force de loi?
À la question d’un projet de loi qui forcerait le retour au travail des grévistes, le premier ministre Justin Trudeau a expliqué en mêlée de presse mercredi que son gouvernement attendait le débouché des négociations. Il a ajouté qu’il ne pouvait se prononcer sur la question au premier jour de grève, laissant planer la possibilité d’un tel projet de loi.
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a réitéré que son parti ne soutiendrait pas une loi forçant le retour au travail des fonctionnaires. Présent aux côtés des grévistes ce mercredi, il a affirmé que « la décision de la longueur de la grève est entre les mains du gouvernement. Ils ont la responsabilité de négocier un contrat de bonne foi qui respecte leurs travailleurs qui ont livré l’aide aux Canadiens pendant la pandémie ».
Jagmeet Singh ne serait « pas surpris » si les conservateurs choisissaient d’appuyer le gouvernement si ce dernier va de l’avant avec une telle décision.
C’est aussi l’avis du professeur François Rocher, pour qui le recours au retour forcé au travail est inévitable : « Pour avoir vu des situations semblables à l’échelle provinciale, c’est la solution rapide du gouvernement. »
Des délais supplémentaires pour les passeports et les demandes de visas
En conférence de presse, les ministres Gould, Fortier, Fraser et Lebouthillier ont fait le point sur les services affectés par la grève au sein de leurs ministères respectifs.
En pleine saison des impôts, toutes les déclarations de revenus non électroniques, qui nécessitent des « manipulations papier », subiront d’importants retards, a rapporté la ministre du Revenu national Diane Lebouthillier.
L’Agence de revenu du Canada (ARC) effectuera un allègement des pénalités de retards. Les Canadiens et les entreprises concernés devront en faire la demande.
Les demandes de visas et de passeport seront aussi affectées.
Par exemple, Service Canada reçoit près de 85 000 demandes de passeports par semaine. « Nous avons une capacité de traiter entre 160 000 et 200 000 passeports, a précisé la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social Karina Gould. […] Si nous perdons une semaine de traitement de demande, des dizaines de milliers de dossiers feront partie des arriérés. »
Interrogée sur sa marge de manœuvre pour ne pas répéter la situation chaotique de l’été 2022 pour les demandes de passeports, cette dernière a assuré être « dans une position plus solide que l’an dernier. On ne s’attend pas à des files devant les bureaux de Services Canada comme l’an dernier. Mais chaque jour de grève, il y aura un arriéré ».
De son côté, le ministre de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Sean Fraser, gère actuellement un inventaire de plus d’un million de demandes de visas. Il a déploré en point de presse que la grève « aura une incidence sur les gains réalisés pour réduire ces arriérés depuis la pandémie », sans préciser à quoi la population doit s’attendre comme délais. Hors grève, le ministère avait déjà été épinglé à plusieurs reprises l’an dernier pour ses délais de traitements, notamment en Afrique.
L’Agence de revenu du Canada (ARC)
Les services maintenus :
- Le versement pour l’Allocation canadienne pour enfants.
- Les autres prestations de l’Agence, qui seront classées par «ordre de priorité».
- Impôts : la date limite du 1er mai pour soumettre une déclaration de revenus reste la même. Mais l’Agence continuera d’accepter les déclarations de revenus et traitera automatiquement les déclarations électroniques.
- Pour les entreprises : le traitement du formulaire T2 sera automatique lorsqu’il sera envoyé électroniquement.
Les services touchés :
- Toutes les déclarations de revenus qui nécessitent une manipulation physique, notamment les formulaires papier, pourraient prendre plus de temps.
- Les Centres d’appels subiront un délai supplémentaire.
Un allègement des pénalités ou intérêts sera effectué par l’ARC pour les Canadiens qui ne peuvent se soumettre à leurs obligations en matière fiscale. La demande doit être faite par la poste ou électroniquement sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada.
Services Canada
Les services maintenus :
- Le régime de pension du Canada, la pension de la Sécurité de la vieillesse, l’assurance-emploi et l’attribution du Numéro d’assurance sociale (NAS).
- Les services en personne ou virtuels sont limités aux personnes ayant besoin d’aide des services de la sécurité de la vieillesse.
Les services touchés :
- Le service de passeport. Celui-ci n’est pas considéré comme un service essentiel. Les demandes de renouvèlement sont également concernées. Selon la Loi, ce service ne devient essentiel que pour les urgences humanitaires. Dans ces cas-là, ces services limités ne seront offerts que dans les bureaux de passeport ou dans les centres de Services Canada.
Ministère de l’Immigration
Les services maintenus :
- Les services de demandes de visas par courriel ou en ligne.
- L’accès aux comptes en ligne, certains services d’urgence et les services offerts par des partenaires d’IRCC comme ceux des Centres de demandes de visas (CRDV) à l’étranger, les services d’établissement des organismes partenaires d’IRCC et les soins de santé dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire.
- Les services d’établissement et de réinstallation, notamment des réfugiés.
- Les services d’hébergement temporaires pour les groupes vulnérables.
Les services touchés :
- Retards dans les traitements des demandes dans tous les services d’immigration.
- Retards dans les services de citoyenneté.
- Report ou annulations des rendez-vous.
- Report de tous les évènements liés à la citoyenneté.
- Temps de réponse accru pour les contacts au téléphone et par courriel.