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L’Université de Saint-Boniface a accueilli à la mi-avril la journée du savoir organisée par l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS). L’organisme célèbre cette année ses 100 ans et donne la chance aux étudiants francophones, de Winnipeg et d’ailleurs, de présenter leurs travaux de recherche devant un jury et un public.
Pour l’occasion, Sophie Montreuil, directrice générale de l’ACFAS a même fait le déplacement depuis Montréal. Une multitude de sujets ont été abordés par les quelque 50 participants.
L’anglais : unique langue de la recherche?
La journée a aussi permis de mettre en lumière le fait que la recherche scientifique en français a de l’avenir, surtout si on lui en donne les moyens.
Après tout, soutenir et développer les réseaux de recherche francophone, c’est le mandat de l’ACFAS depuis un siècle maintenant. Alors si cette journée du savoir a été l’occasion de faire précisément ce pour quoi l’organisme existe, elle a aussi permis de s’interroger sur l’état de la recherche scientifique en français au Canada.
Et le constat tiré par l’ACFAS n’est pas particulièrement encourageant. « Au cours des 50 dernières années, le taux de publications savantes en anglais a augmenté au Canada, au détriment des publications en français », explique Sophie Montreuil. Elle précise, néanmoins, que le phénomène n’est pas endémique au pays. Effectivement, l’anglais aujourd’hui est la langue principale dans le domaine. Les collaborations entre différents pays sont monnaie courante dans le milieu de la recherche. La langue de Shakespeare est considérée aujourd’hui comme universelle, alors rien d’étonnant à ce qu’elle soit privilégiée.
Et l’égalité réelle dans tout ça?
Seulement voilà, comme le rappelle la directrice générale : « Nous sommes un pays bilingue, avec toutes les obligations que cela implique. » Lors du dépôt du projet de loi C-13 de modernisation de la Loi sur les langues officielles en mars 2022, qui visait à encourager l’égalité « réelle » entre les langues officielles du Canada, l’ACFAS en a profité pour mettre en lumière cet enjeu : « Nous avons fait entendre les inégalités qui sont documentées dans le milieu scientifique francophone au Canada. »
L’ACFAS avait d’ailleurs publié un rapport à ce sujet en juin 2021 intitulé Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, qui démontrait que la recherche en français est souvent confrontée à des défis financiers et à des problèmes de visibilité.
Sans pour autant chercher à complètement inverser la tendance, il faut veiller à la survie de la recherche scientifique en français, car les inégalités pointées du doigt par l’ACFAS s’accompagnent de plusieurs problématiques.
Il y a d’abord un aspect politique au problème, sur lequel Sophie Montreuil insiste. « Il faut, a minima, s’assurer que dans un pays avec deux langues officielles, l’on soit libre d’exercer son métier dans la langue de son choix. »
Car la réalité aujourd’hui, c’est que beaucoup de professeurs, chercheurs et universitaires vont privilégier la langue anglaise pour effectuer leur demande de financement auprès des organismes concernés.
Pourquoi le français est-il une nécessité?
C’est notamment le cas de Jean-Eric Ghia, communicateur scientifique et professeur au département d’immunologie et de médecine interne à l’Université du Manitoba. « Les organismes de recherche ont beaucoup plus de relecteurs anglophones, explique-t-il. Alors c’est un peu contraints que les chercheurs francophones rédigent leurs demandes en anglais. Je n’ai jamais écrit une seule demande de financement en français. Je pourrais le faire au Canada, mais je sais que le taux de succès serait moins important. »
Effectivement, le rapport de l’ACFAS met en lumière le taux de succès des demandes de financements déposées auprès de l’Institut de recherche en santé du Canada (IRSC). 38,5 % des demandes anglophones acceptées contre 29,2 % pour les demandes en français.
A priori, les choses ne semblent pas en bonne voie pour s’améliorer, puisqu’une baisse générale des demandes de subvention en français est observée depuis les années 1990 au sein des différents organismes subventionnaires.
« Il faut faire de la recherche en français pour un tas de raisons, poursuit Jean-Eric Ghia. Il ne faut pas perdre le vocabulaire d’abord, mais aussi, c’est important de soutenir la nouvelle génération de chercheurs qui sera peut-être bilingue. »
Recherche en milieu minoritaire
Plus largement, l’état de la recherche est à l’image de la situation de la francophonie. « Il n’y a pas de bureau francophone pour la recherche à l’Université du Manitoba par exemple. Donc c’est très compliqué pour les francophones de faire de la recherche en milieu minoritaire. »
Malheureusement, cette désuétude du français peut potentiellement s’avérer préjudiciable pour les chercheurs dont la première langue est le français. Aussi détenteur d’un doctorat en neuroscience, Jean-Eric Ghia développe : « La capacité de raisonnement et la logique de raisonnement sont forcément bien meilleures dans sa langue maternelle. »
Si la langue française est un enjeu dans la recherche scientifique, le sujet de la francophonie peut l’être tout autant.
D’ailleurs, Sophie Montreuil et Jean-Eric Ghia expliquent bien que certains enjeux con- cernent exclusivement les populations francophones. Par conséquent, certains sujets de recherche ne peuvent être menés qu’en français. Alors, avec ce postulat en tête, la direc- trice générale souligne un autre des dangers de ce recul de la recherche en français :
« S’il n’y a plus de recherches qui concernent les populations francophones, les politiques publiques en matière de santé et d’éducation à l’échelle du Canada pourraient ne plus tenir compte de leurs besoins, puisque ces derniers n’auront pas été étudiés et aucune solution n’aura été proposée. »
Espoir à l’horizon?
Le gouvernement fédéral a dévoilé à la fin du mois d’avril 2023 son Plan d’action quinquennal pour les langues officielles. Dans cette feuille de route, 8,5 millions $ sur cinq ans sont prévus pour soutenir la création de nouvelles mesures (encore indéterminées) visant à améliorer l’écosystème de la recherche en français.
De quoi faire peut-être patienter la directrice générale de l’ACFAS, qui s’est exprimée à ce propos : « C’est la première fois qu’un plan d’action sur les langues officielles contient un énoncé mentionnant directement la nécessité du soutien à la création et la diffusion d’informations scientifiques en français, alors nous en sommes très heureux.
« Personne ne sait encore comment seront réparties ces subventions, mais nous espérons que ce financement permettra de soutenir nos antennes régionales, qui sont soutenues pour le moment par des bénévoles. Quand l’effervescence autour de la diffusion du plan d’action va retomber un peu, nous rencontrerons, au même titre que d’autres organismes, les gens de Patrimoine canadien. Les détails nous seront présentés à ce moment-là, mais ça présage du bon. »