Marianne Dépelteau

L’organisme de représentation des communautés anglophones du Québec, le Quebec Community Groups Network (QCGN), souhaite voir le projet de loi C-13 amendé et espère une analyse juridique plus rigoureuse. 

« Jusqu’à présent, nous avons toujours espéré que le gouvernement fédéral soit notre protecteur, nous soutienne en tant que communauté linguistique minoritaire, et nous nous sentons trahis », déclare Eva Ludvig, présidente de QCGN. 

Dans son document d’information présenté devant le Comité permanent des langues officielles le 5 juin, l’organisme indique être profondément préoccupé « par les effets du projet de loi C-13 sur la communauté anglophone du Québec et par l’asymétrie accrue par rapport au Québec dans la fédération canadienne ».

Eva Ludvig assure que sa déception porte surtout sur les risques perçus que présente C-13 pour les anglophones du Québec, et non face aux gains des francophones : « Nous comprenons [que les francophones] veulent que cette loi soit adoptée parce qu’elle apporte beaucoup de bonnes choses. »

« Je sais qu’il y a un grand besoin parmi les communautés francophones. […] Nous comprenons et soutenons cela, assure-t-elle. Notre préoccupation est donc de savoir ce qui nous arrive ici au Québec, où nous vivons une réalité totalement différente en tant que communauté linguistique minoritaire. »

La Charte de la langue française inquiète

« Ce que nous craignons, c’est de perdre parce que le gouvernement fédéral jouera, au Québec, selon les règles du gouvernement québécois », explique Eva Ludvig. 

La référence à la Charte de la langue française du Québec, amendée par la Loi 96, dans le projet de loi C-13, inquiète la présidente de QCGN.

« Nous comprenons que les communautés francophones n’obtiennent souvent pas de services en français à l’extérieur du Québec, souvent parce que les services ne sont pas disponibles, mais il n’y a pas de loi qui empêche les francophones d’obtenir des services s’ils sont disponibles. [Au Québec], ce n’est pas une question d’accessibilité, c’est une question d’éligibilité. »

Eva Ludvig craint surtout l’interprétation juridique qui pourrait en être faite de la loi, une fois adoptée.

François Larocque, titulaire de la Chaire de recherche, Droits et enjeux linguistiques de l’Université d’Ottawa, est convaincu que « la référence générique à la Charte n’effacera pas plus de 40 ans de jurisprudence […]. Des principes d’interprétation ont été établis et ne disparaitront pas [à cause de la mention]. »

« Ce n’est pas comme si on vient d’adopter, en droit fédéral, l’ensemble du droit québécois sur la langue française. La LLO ne fait que reconnaitre l’existence de ce régime linguistique parmi d’autres régimes provinciaux », précise-t-il.

Dans un courriel à Francopresse, le bureau de la ministre des Langues officielles affirme entendre les préoccupations de certains anglophones du Québec et assure que « C-13 ne diminue en rien la protection des droits des Québécois d’expression anglaise. Le gouvernement fédéral sera toujours aux côtés des communautés de langue officielle en situation minoritaire pour protéger leurs droits constitutionnels, au Québec et [ailleurs]. »

Comme C-13 est une loi fédérale où prime la Constitution et comme la mention de la Charte de la langue française est générique, François Larocque ne voit pas comment les droits acquis des anglophones pourraient être limités.

« S’il y a une diminution dans l’offre des services provinciaux à la communauté anglo-québécoise, le blâme et la faute résideront au Québec. La loi fédérale ne prévoit aucunement une diminution des services aux Anglo-Québécois », précise-t-il.

Un « conflit artificiel » entre francophones et anglophones

Si QCGN espère une analyse juridique plus approfondie du projet par le Sénat, sa présidente veut être claire : « ce n’est pas pour aller à l’encontre des francophones ». 

C-13 a donné lieu à « un conflit artificiel entre francophones et anglophones. Ce n’est pas du tout le problème et nous ne voulons pas non plus que cela soit perçu comme tel », indique Eva Ludvig.

Elle précise que les anglophones du Québec veulent être traités équitablement et que la différence des besoins de chacune des communautés doit être reconnue.

« On n’enlève pas à l’un pour donner à l’autre. On aide l’autre à atteindre la même chose. »

La question de l’asymétrie

Selon François Larocque, C-13 introduit l’idée d’asymétrie dans la Loi sur les langues officielles (LLO), mais n’enlève rien aux anglophones du Québec. « Ça veut dire que le fédéral va consentir des investissements nouveaux et plus importants que ceux consentis par le passé pour faire la protection et la promotion du français au Canada dans tous les domaines qui relèvent du fédéral », explique-t-il en précisant que le projet de loi ne diminue aucunement les investissements destinés aux anglophones du Québec.

« Pour réaliser l’égalité réelle, et non formelle, il faut en faire davantage pour la partie la plus vulnérable », souligne-t-il.

Pour la présidente de QCGN, l’asymétrie ne tient pas bien compte de la réalité anglo-québécoise : « La langue anglaise n’est pas menacée en Amérique du Nord. […] Cependant, nous vivons dans la province du Québec où la langue française est majoritaire et où nous sommes la minorité. »

« On parle peut-être l’anglais comme nos amis de Toronto, même si nous le parlons un peu différemment, mais on travaille au Québec, on joue au Québec, on magasine au Québec. C’est notre vie ici et nous y sommes depuis des centaines d’années. »

Eva Ludvig consent que la communauté anglophone du Québec a été économiquement dominante à une certaine époque. «Mais cette communauté a changé, précise-t-elle Si l’on regarde les chiffres actuels, on constate que le taux de chômage est supérieur de 4 % chez les anglophones.»

Le bureau de la ministre Petitpas Taylor tient à rappeler que son nouveau Plan d’action pour les langues officielles (2023-2028) inclut « des ressources supplémentaires en matière de services à l’emploi pour les Québécois d’expression anglaise, en plus des investissements pour l’apprentissage du français comme langue seconde ».