Après deux années comme chargé d’affaires au sein de l’ambassade du Canada près le Saint-Siège, Paul Gibbard a donné ses lettres de créance en tant qu’ambassadeur du Canada au pape François le 24 juin. Signe que les relations se rétablissent entre les deux états.
Pour Paul Gibbard, ambassadeur du Canada près le Saint-Siège, servir son pays est une vocation. « Mes parents étaient des missionnaires. Je les ai vus être au service de leurs communautés alors je voulais faire pareil. Aujourd’hui, je suis au service de mon pays et des citoyens canadiens.
« Comme chargé d’affaires à l’ambassade, notre priorité était la réconciliation. Je suis très content de pouvoir continuer à travailler sur ce dossier comme ambassadeur. »
François Mabille, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux, reconnaît que Paul Gibbard est une bonne personne pour représenter le Canada au Vatican. « En regardant son profil, on voit qu’il a fait des études de théologie aux États-Unis et d’anthropologie au Canada. Il a déjà une expérience avec les Autochtones, puisqu’il a été directeur des affaires autochtones et arctiques. Il semble être un bon candidat pour comprendre les enjeux qui, aujourd’hui, lient le Vatican et le Canada. C’est un parcours assez classique d’ambassadeur. »
Quelques raisons
Une expérience nécessaire, puisque pendant près de cinq années, le poste d’ambassadeur du Canada près le Saint-Siège a été vacant. Le chercheur associé à l’IRIS revient sur ce hiatus.
« Les relations diplomatiques entre le Canada et le Vatican ont toujours été considérées comme normales. Bien que le Canada ne soit pas un pays sur lequel le Saint-Siège peut s’appuyer dans sa politique internationale. Cependant, depuis quelques années, il semblait y avoir une rupture dans leur relation.
« Évidemment, nous ne sommes pas dans les discussions personnelles. Mais lorsqu’on observe un peu la scène géopolitique, il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer cet éloignement. »
Pour François Mabille, la première raison venait « d’une incompatibilité de personnalités sur les questions sociétales entre l’ancien ambassadeur, Dennis Savoie, et le pape François. » Dennis Savoie a été nommé ambassadeur le 1er août 2014 sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
« Le profil de l’ancien ambassadeur, Dennis Savoie, était assez particulier. Et ne fonctionnait pas forcément avec le pape François. Il venait d’une frange assez conservatrice du Canada et des catholiques canadiens. Il était membre du conseil d’administration de l’Organisme catholique pour la vie et la famille. Un organisme connu pour faire beaucoup de lobbying au sein des états contre les évolutions sociétales comme l’avortement, le mariage pour tous, etc.
« Il a occupé plusieurs hautes fonctions au sein des Chevaliers de Colomb, notamment Chevalier suprême adjoint. Là encore, des Chevaliers de Colomb ont des positions assez conservatrices sur des questions sociétales. Toutes ses positions ne reflétaient pas forcément celle du pape, donc il y avait déjà quelques lacunes dans leur relation. »
« Cette visite n’était qu’un début. C’était un élan pour continuer à approfondir les relations avec les peuples autochtones. La réconciliation est un processus difficile, long et complexe. »
Paul Gibbard
La question autochtone
Outre ce conflit de personnalités, il faut rappeler que les Libéraux ont été élus au gouvernement fédéral en 2015. De son côté, Dennis Savoie quitte son poste en octobre 2018, laissant le siège vacant. C’est également en 2015 que la Commission de vérité et de réconciliation publie son rapport final sur les traumatismes subis par les Autochtones dans les pensionnats. Le rôle de l’Église catholique est clair, cependant l’institution peine à prendre sa responsabilité, comme l’explique François Mabille.
« Il faut reconnaître que l’histoire de l’Église catholique est assez chargée. Au Canada, il y a les traumatismes physiques, psychologiques et sexuels qu’ont subis les Autochtones avec les pensionnats. Le pape a mis très longtemps avant de reconnaître la responsabilité de l’Église dans ce pan de l’histoire. Cette non reconnaissance a fait que le Canada n’était pas prêt à avoir des relations diplomatiques avec le Vatican. »
Paul Gibbard est d’ailleurs conscient que c’est une priorité au Canada. « Je veux véritablement me concentrer sur la réconciliation avec les peuples autochtones. Nous avons beaucoup travaillé à ce que le pape vienne au Canada pour présenter ses excuses aux Autochtones du Canada.
« Mais cette visite n’était qu’un début. C’était un élan pour continuer à approfondir les relations avec les peuples autochtones. La réconciliation est un processus difficile, long et complexe. »
Dossiers à venir
Il aura fallu attendre 2022 pour entendre le pape François admettre la part de responsabilité de l’Église catholique dans cette partie de l’histoire canadienne. Même si pour François Mabille, il est clair que le pape ne maîtrisait pas assez son dossier pour faire une reconnaissance pleine et entière. « Quand on relit son discours, il y a toujours un Oui mais. Lors de sa visite au Canada, le pape a pointé la responsabilité du gouvernement canadien. Alors certes, le gouvernement fédéral est aussi responsable. Cependant, du côté du gouvernement canadien, il y a eu des excuses et là c’était au tour de l’Église de reconnaître ses erreurs. Il faudra voir dans l’avenir les dossiers dans lesquels les deux états se retrouveront. »
Paul Gibbard soulève le dossier des archives, désormais, grâce à son nouveau poste, le lien entre le Vatican et le Centre national pour la vérité et la réconciliation peut être facilité. « L’ambassade peut permettre de créer des liens et nous encourageons les institutions à aller de l’avant dans le dossier des archives. Par exemple, l’archiviste en chef, Raymond Frogner, est venu l’année dernière pour découvrir une collection d’archives privée des Oblats de Marie Immaculée à leur maison générale à Rome. Nous sommes là pour faciliter les échanges. »