Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Les feux de forêt canadiens sont venus raviver les discussions autour du changement climatique qui se produit sur la planète. Outre les forêts, les lacs et les milieux d’eau douce souffrent eux aussi de l’impact du changement climatique, de manière plus silencieuse.
Située dans entre les lacs du nord de l’Ontario, l’Institut international pour le développement durable (IISD) s’intéresse aux différents enjeux autour des lacs. Scott Higgins est un des chercheurs principaux pour l’organisme. Ses recherches se concentrent sur les interactions entre les lacs et les changements climatiques, notamment sur la qualité de l’eau. « Le changement climatique est une menace constante sur différents aspects de notre vie quotidienne. Y compris les lacs et l’eau douce de manière générale. D’ailleurs, ces endroits connaissent déjà les effets du changement climatique. Pendant longtemps, le mantra a été que le changement climatique était dans le futur lointain. Sauf que non, c’est aujourd’hui, maintenant. »
Depuis plusieurs années, il étudie le réchauffement de la surface des lacs. Il partage quelques-unes de ses préoccupations. « L’une des plus grosses choses à réaliser c’est qu’à notre latitude, à Winnipeg ainsi que là où se trouve notre station de recherche dans le nord de l’Ontario, l’air se réchauffe beaucoup plus vite qu’ailleurs. Plus vite que dans d’autres endroits sur terre. Environ 0,5°C par décennie. Et en regardant dans les détails, ce réchauffement se fait davantage à l’automne et à l’hiver.
« De plus les hivers sont plus courts. Alors des hivers plus courts mélangés à des hivers plus chauds, c’est un mauvais mélange pour la formation de glace sur les lacs.
« Je pense notamment aux communautés qui n’ont pas de route permanente durant l’année. Parfois les lacs gelés sont les seules routes qui peuvent permettre le transport de marchandises, de matériaux, de nourriture. Ce sont des lignes de vie critiques. Avec des hivers plus courts, nous pensons que dans les 25 à 50 prochaines années, ces routes ne seront plus sécuritaires pour être utilisées. Alors comment ces communautés vont-elles pouvoir acheminer ce dont elles ont besoin? »
Biodiversité aquatique
D’ailleurs, depuis plusieurs années, on voit régulièrement, dans les médias, des accidents en lien avec des lacs gelés.
Scott Higgins se veut d’autant plus alarmant, car les temps où les lacs sont gelés permettent un repos pour la biodiversité aquatique car l’air n’est pas en contact avec l’eau directement. Il tient aussi à poser la table pour comprendre le complexe phénomène qui se joue en dessous de l’eau. « Plusieurs études ont constaté que les surfaces de l’eau se sont réchauffées. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la biodiversité des lacs parce
que contrairement à nous, mammifères, la plupart des êtres vivants dans les lacs sont ectothermes c’est-à-dire que leur corps ne maintient pas leur température interne constante, elle suit celle de l’extérieur (1).
« Sauf que la température extérieure influence le métabolisme du corps. Notre préoccupation, avec l’augmentation de la température des lacs, c’est donc que les animaux vont devoir manger davantage pour maintenir leur poids/taille. Sauf qu’il n’y a pas plus de nourriture disponible. Les poissons vont donc peut- être devenir de plus en plus petits.
« Il pourrait aussi y avoir un impact sur leur cycle de reproduction. S’ils mettent plus longtemps à atteindre leur taille adulte, leur cycle va peut-être se déplacer. Et il y aura des répercussions sur l’ensemble de la biodiversité. Toute cette réalité vient du changement de température de l’air. »
Un problème à bras le corps
Le chercheur spécialisé sur les effets des espèces envahissantes sur les écosystèmes d’eau douce pointe aussi des particularités manitobaines. « Le changement climatique a aussi un impact sur les précipitations. Finalement, la règle est la suivante : les endroits qui étaient humides deviendront plus humides et les endroits qui étaient secs deviendront encore plus secs.
« Le lac Winnipeg est un bassin versant très agricole. Depuis 1990, il y a davantage de précipitations. Donc plus il pleut, plus il y a de nutriments qui flottent dans la rivière Rouge et dans le lac Winnipeg. Ce qui crée les problèmes d’algues bleu-vert qu’on connaît aujourd’hui. »
Après avoir exposé ses inquiétudes quant à la qualité de l’eau, Scott Higgins se veut clair. « La première étape dans la résolution d’un problème c’est de reconnaître qu’il y en a un.
« La Ville de Winnipeg et la Province ont depuis longtemps reconnu ce problème. Les deux paliers de gouvernement essayent depuis plusieurs années de protéger les eaux douces. Ce qui se traduit par des investissements majeurs. Mon point est de montrer que le changement climatique a un impact économique vrai- ment majeur. Les gens doivent prendre conscience que le changement climatique est évidemment une question économique. »
Il est d’ailleurs encouragé par l’annonce du gouvernement fédéral au mois de mai 2023 de la création d’une Agence canadienne de l’eau à Winnipeg. « C’est quelque chose de complètement nouveau pour le Canada. Évidemment, nous attendons encore de voir les objectifs de cette nouvelle agence. Mais j’espère vraiment que notre gouvernement prend au sérieux la protection de nos eaux douces.
« Actuellement, il n’y a pas d’efforts coordonnés à l’échelle du Canada pour comprendre les enjeux liés à l’eau. Chaque province est responsable de la surveillance des eaux et de ce qu’elle décide de surveiller. Ça veut dire que nous n’avons aucune idée de ce qui se passe chez nos voisins, des besoins et d’où nos priorités doivent se concentrer. »
(1) La plupart des mammifères sont endothermes c’est-à-dire que leur corps régule lui-même sa température.