Marine Ernoult

L’arbre des rues ne fait plus pester parce que les feuilles bouchent les gouttières ou rend les trottoirs glissants. Il est celui qui sauvera les villes de la pollution et du réchauffement climatique. Les élus en réclament, les architectes en font pousser sur le moindre bout de béton.

L’heure est à la plantation massive. Au vu de l’urgence climatique, les propriétaires privés et les organisations non gouvernementales sont appelés en renfort. En 2007, Montréal a lancé un programme participatif de verdissement des voies publiques. Les habitants s’occupent eux-mêmes de la végétalisation une fois le bitume retiré des chaussées.

La ville de Québec fait figure de championne au pays avec un indice de canopée urbaine de 32 %. Autrement dit, près du tiers de son territoire est à l’ombre, couvert par le feuillage des arbres.

Sur l’ile de Montréal, ce fameux indice est passé de 20 % en 2007 à plus de 25 % aujourd’hui. De son côté, Toronto a planté près d’un million d’arbres entre 2008 et 2018, portant son indice à plus de 28 %.

Moins de verdure dans les quartiers pauvres  

« L’indice de canopée des grandes métropoles canadiennes se situe en moyenne entre 20 et 30 % et toutes veulent atteindre 40 % », rapporte Janani Sivarajah, professeure adjointe à la Faculté de foresterie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur l’arbre urbain et son milieu.

Le couvert végétal varie fortement d’un quartier à l’autre. Les zones les plus défavorisées sont souvent les plus minéralisées. D’après un rapport de Nature Canada, paru en septembre 2022, le boisement diminue considérablement dans les secteurs à faible revenu de Toronto et Vancouver, où la présence de communautés autochtones, noires et de couleur augmente.

Il y a également de profondes disparités entre les municipalités. Calgary, en Alberta, est l’un des centres les moins arborés du Canada, avec un indice de canopée de seulement 8 %.

« Il n’y a pas de cadre législatif contraignant et de financement pérenne, que ce soit au niveau fédéral ou provincial. Tout dépend de la volonté politique locale », relève Janani Sivarajah.

« Nous avons justement créé la stratégie canadienne sur la forêt urbaine pour faire avancer le dossier auprès des gouvernements », renchérit Michael Petryk, directeur des opérations d’Arbres Canada.

Milieu hostile

Les petites villes pâtissent, elles, d’un manque de ressources humaines et financières.

« Contrairement aux grandes métropoles qui ont des équipes entières dédiées à la foresterie urbaine, les petites localités n’ont pas de budget spécifique et de personnel doté de l’expertise nécessaire, constate Michael Petryk. Elles doivent faire appel à des associations, car elles n’ont pas les moyens de planter seules à grande échelle. »

Entre 2021 et 2022, l’organisation Arbres Canada a ainsi financé la mise en terre de 900 000 arbres dans 183 communautés. Le programme fédéral 2 milliards d’arbres alloue également des fonds.

Face à l’actuelle frénésie arboricole, Janani Sivarajah rappelle que la croissance des semis en ville représente un défi, en particulier le long des rues et des axes de circulation.

« C’est un milieu hostile. Les arbres ont du mal à croitre, car le sol n’est pas fertile, il est très pauvre en matière organique, explique la chercheuse. De plus, le volume de terre est souvent insuffisant pour assurer un développement correct des racines. »

« À cause de la densification urbaine, les arbres manquent de place. Ils sont plus que jamais sous pression », poursuit Michael Petryk.

Les arbres plantés survivent-ils à leurs premières années? 

« L’entretien des arbres s’est amélioré, ce qui contribue à allonger leur durée de vie, observe Michael Petryk, directeur des opérations d’Arbres Canada. Les taux de mortalité vont dépendre des zones où ils sont enracinés. Leurs chances de survie sont plus grandes dans les parcs. »

« Mais au Canada, nous n’avons pas de cartographie ou de suivi. C’est difficile de mesurer le nombre d’arbres perdus », regrette Danijela Puric-Mladenovic, professeure adjointe à la Faculté de foresterie de l’Université de Toronto.

Pour y remédier, Arbres Canada s’affaire à mettre sur pied un outil de suivi cartographique. L’Institut forestier du Canada a également reçu des fonds fédéraux pour compiler les données géospatiales relatives à la foresterie urbaine des municipalités dont la population est supérieure à 50 000 habitants.

Aux yeux des spécialistes, les villes ne peuvent pas faire l’impasse sur la question des essences et planter n’importe quoi.

« Il faut tendre vers plus de diversité. Ça permettra aux arbres d’être plus résilients face aux maladies et aux invasions d’insectes qui se développent avec le réchauffement climatique », considère Janani Sivarajah.

Une autre question majeure se pose : les villes doivent-elles privilégier des espèces locales ou anticiper les modifications du climat avec des températures plus élevées en plantant des essences venues d’ailleurs?

« On manque d’études sur le sujet, mais il y a un équilibre à trouver. Il ne suffit pas de changer d’espèces, il faut aussi avoir les conditions suffisantes pour que les plants survivent dès aujourd’hui », estime Danijela Puric-Mladenovic, professeure adjointe à la Faculté de foresterie de l’Université de Toronto.

Le béton reprend du terrain

En réalité, cette poussée des villes-forêts cache un manque de planification stratégique. Les chercheuses interrogées dénoncent une tendance des municipalités à planter n’importe où et n’importe comment.

« Les planificateurs pensent aux arbres en dernier, jamais en amont, au moment de l’élaboration des projets ; ils ne prennent pas le temps de réfléchir à où les installer. Les mentalités doivent changer », insiste Janani Sivarajah.

« Les villes ont une approche fragmentaire, les forêts urbaines ne sont pas assez intégrées à l’aménagement du territoire, renchérit Danijela Puric-Mladenovic. De nouveaux bâtiments sortent de terre, et les planificateurs se disent après coup, “oh il n’y a pas de parcs, il faudrait peut-être planter des arbres”. »

Dans certaines villes, le béton reprend carrément du terrain. À Charlottetown, l’indice de canopée urbaine était de 20,91 % en 2020, soit une baisse de 1,29 point de pourcentage par rapport à 2014.

« Nous observons un déclin de la canopée dans plusieurs municipalités à travers le pays », confirme Michael Petryk.

Danijela Puric-Mladenovic analyse ce déclin à la lumière de la crise du logement qui frappe le pays : « La priorité est de construire plus, plus vite. Cette pression du développement foncier est extrêmement brutale, il n’y a aucune stratégie pour préserver le sol et la forêt. »

Les bénéfices des arbres 

Les forêts urbaines sont une arme efficace pour lutter contre les effets du changement climatique. Elles rafraichissent l’air des villes tout en réduisant leur pollution. 

De nombreuses études scientifiques montrent que les arbres absorbent le CO2 et filtrent les particules et bien d’autres polluants contenus dans l’atmosphère. Elles révèlent aussi que l’ombre qu’ils projettent et la transpiration végétale produite lors de la photosynthèse contribuent à faire baisser la température de l’air.

Les arbres jouent par ailleurs un rôle clé dans la prévention des inondations, grâce à leur système racinaire qui absorbe l’eau dans le sol. Ils limitent enfin les éboulements des terrains et hébergent une riche biodiversité.

« C’est aussi un plaisir esthétique. C’est bon pour la santé mentale et physique des résidents, ça les encourage à sortir se promener », détaille Janani Sivarajah, professeure adjointe à la Faculté de foresterie de l’Université Laval.

« Une de mes recherches a montré que la présence d’arbres dans une cour d’école d’un quartier défavorisé contribuait à améliorer les résultats scolaires des élèves de 3e et 6e années en lecture, écriture et en mathématiques. »