Marianne Dépelteau
Selon un sondage d’opinion mené par Angus Reid pour le compte du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes, 55 % des Canadiens «ne croient pas ou ne savent pas que [la traite des travailleurs migrants] est un problème d’envergure au Canada».
43 % des répondants croient que la traite des travailleurs migrants nécessite le passage irrégulier de travailleurs à travers la frontière. Pourtant, bon nombre de ces personnes arrivent au Canada par des voies légitimes, nuance le Centre dans un communiqué.
Ce manque de sensibilisation générale de la population et le fait que les travailleurs étrangers temporaires eux-mêmes ignorent souvent leurs droits facilitent malheureusement leur exploitation, estime Aziz Froutan, gestionnaire des communications pour le Centre.
Des personnes malveillantes peuvent par exemple saisir leurs pièces d’identité, retenir illégalement une partie de leur salaire ou les loger dans des installations insalubres. Si 85 % des personnes sondées par Angus Reid sont d’avis que les travailleurs étrangers viennent au Canada pour profiter de meilleures conditions de vie et de travail, plusieurs d’entre eux finissent cependant par devoir « composer avec de fausses promesses et faire face à des abus et de l’intimidation », rapporte le Centre.
D’après Aziz Froutan, il faut « défaire le mythe selon lequel les travailleurs migrants n’auraient pas les mêmes droits que les Canadiens ».
« Techniquement parlant, toute personne qui vit sur le territoire canadien a accès aux mêmes droits et libertés », assure Idil Atak, professeure à la Toronto Metropolitan University. Les différences majeures entre un citoyen et un non-citoyen : le droit de vote et la détention d’un passeport canadien.
Par contre, seules les personnes ayant la citoyenneté canadienne ont le droit de vote et peuvent détenir un passeport canadien.
Manque d’information
Aziz Froutan note en outre un grave « manque de sensibilisation au sujet du soutien et des services offerts au Canada » pour les travailleurs étrangers temporaires.
« La plupart des travailleurs n’ont pas assez d’information sur leurs droits quand ils arrivent au Canada », remarque-t-il. En juin dernier, le Centre a d’ailleurs lancé une campagne afin de les informer de leurs droits et de leur présenter la ligne d’urgence.
« On a développé des billets d’information dans des endroits fréquentés par les travailleurs migrants, surtout dans des zones rurales où ils travaillent », décrit le gestionnaire.
Le Centre a également noué des partenariats avec des consulats et des ambassades à l’étranger pour y diffuser de l’information, mais celle-ci n’atteint pas à tous coups les personnes visées.
« IRCC [Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada] ne partage pas automatiquement et directement avec tous les candidats l’information sur la traite des travailleurs et sur les droits de ces derniers au Canada », regrette Aziz Froutan.
Or, d’après des consultations menées par l’organisme auprès de migrants, ces derniers auraient aimé recevoir de tels renseignements avant leur arrivée au Canada.
« Les médias sociaux, en particulier Facebook, étaient leur plateforme en ligne préférée pour obtenir de l’information et se mobiliser », souligne un rapport du Centre publié conjointement avec l’organisme torontois FCJ Refugee Centre.
Une page Web du gouvernement canadien explique les droits des travailleurs étrangers temporaires, mais, comme l’indique Idil Atak, qui a elle-même immigré au Canada, « on est tellement préoccupés par notre statut et la volonté de réussir à nous établir, à nous intégrer, qu’on ne fait pas nécessairement de recherche [sur nos droits] ».
Barrières linguistiques
« On sait bien que la plupart des travailleurs migrants au Canada parlent espagnol. Ils ne maitrisent souvent pas le français ni l’anglais », ajoute Aziz Froutan.
Le rapport Ça se passe ici : L’exploitation des travailleuses et travailleurs migrants pendant la pandémie de covid précise que 38 % des participants à une série de groupes de consultation auprès de travailleurs migrants en Ontario ont déclaré avoir reçu de l’information sur leurs droits à leur arrivée.
Or, cette information leur a été fournie seulement en anglais.
Seulement 14 % des participants ont indiqué avoir reçu de l’information dans leur langue maternelle.
« Si les travailleurs migrants ont besoin d’information sur leurs droits, même s’ils n’ont pas un problème en particulier, ils peuvent composer le 1-800-339-1010 pour parler avec des personnes bien renseignées sur le droit du travail au Canada et en mesure de leur répondre dans leur langue ou de les mettre en relation avec quelqu’un qui parle leur langue », tient à souligner Aziz Froutan.