Inès Lombardo – Francopresse
FRANCOPRESSE : Depuis votre nomination, vous avez beaucoup parlé du Plan d’action pour les langues officielles, mais un peu moins de la Loi qui vient d’être modernisée et des futurs règlements. Quelle est votre priorité dans le processus de règlementation de la nouvelle Loi?
RANDY BOISSNNAULT : Il faut avoir cette conversation avec les entreprises privées sous juridiction fédérale pour déterminer les zones du pays où il y a une forte présence francophone.
Je suis aussi saisi par cette question d’immigration. J’ai déjà entendu mon collègue Marc Miller dire que l’immigration francophone était pour lui un dossier prioritaire.
J’ai assisté à plusieurs rencontres du Comité des langues officielles quand j’étais le secrétaire parlementaire de Mme Joly [de 2015 à 2017, NDLR]. Les gens nous disaient que c’était impossible d’amener la cible [d’immigration francophone hors Québec] de 2 % à 4,4 %.
Même avec le recul des francophones à travers le pays, on a rebâti le système. On va voir comment aller de l’avant, avec quel pourcentage et de quelle façon. Je vais entamer les discussions avec mes collègues députés et le Comité des langues officielles, mais aussi avec l’équipe du ministre Miller. Ce sont deux dossiers très importants du début de mandat.
Les règlements vont prendre jusqu’à deux ans. Je ne veux pas attendre un an pour lancer le processus, je veux que le ministère commence dès cet automne.
En plus des Langues officielles, vous êtes aussi ministre de l’Emploi et du Développement de la main-d’œuvre. Le chômage vient d’augmenter pour un troisième mois consécutif au Canada pour s’établir à 5,5 %. Quel est votre plan pour concilier le recul du chômage et la pénurie de main-d’œuvre francophone?
Il y a une légère augmentation du chômage, mais il continue d’y avoir la plus forte participation de main-d’œuvre qu’on a jamais vue.
En ce qui concerne la question des francophones sur le marché du travail, c’est une préoccupation. Je vais travailler sur la reconnaissance des compétences et les microcrédits pour que les gens qui acquièrent des compétences puissent les voir reconnues par les employeurs.
Je sais qu’il y a un écart entre la pénurie de main-d’œuvre et les emplois qui sont disponibles, donc c’est ma tâche avec les provinces et les employeurs de combler ces lacunes et de voir plus de francophones et francophiles sur le marché du travail. Ça, c’est la tâche qui nous demande le plus d’attention cet automne et on va faire le travail ensemble.
En matière d’éducation, devant le refus récent du gouvernement Ford en Ontario de financer l’Université de Sudbury, comment pouvez-vous aider, en tant que nouveau ministre des Langues officielles, à améliorer la situation pour assurer le continuum de l’éducation en français?
Il faut vraiment travailler cet élément du berceau à la berçante, donc des garderies jusqu’au développement de la main-d’œuvre. Le système postsecondaire est donc très important.
Quand on a une déception, comme on a vu avec l’Université de Sudbury, ça nécessite qu’on travaille avec le gouvernement Ford, avec la ministre [Jill Dunlop] pour voir quels sont leurs enjeux et la façon dont ils vont aborder la question.
Dès qu’on trouvera une solution, on va surement être à la table comme gouvernement fédéral, comme on l’a fait avec l’Université de l’Ontario français et avec le Campus St-Jean.
On veut qu’un système postsecondaire robuste en français existe au Canada et nous sommes à la hauteur pour travailler avec le gouvernement Ford afin d’affirmer une présence forte en français dans le Nord de l’Ontario.
Parlons des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales. Elles sont souvent inégales ou floues. Comment pouvez-vous mieux négocier leur place dans les ententes?
C’est une question qu’il va aussi falloir poser à la nouvelle ministre Jenna Sudds [ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, NDLR], qui est responsable de ce dossier. Je vais travailler avec elle sur ce dossier.
Revenons aux francophones. Allez-vous accorder la même écoute à ceux du Québec qu’aux autres francophones du pays?
Moi, je suis un francophone de l’Ouest et je sais à quel point les gens ici ont lutté pour tout ce qu’on a et tout ce que les communautés en situation minoritaire veulent avoir, que ce soit dans l’Ouest, dans le Nord, en Atlantique, en Ontario.
Il y aura toujours des enjeux très spécifiques au Québec. Pour moi, il faut entamer de très bonnes relations avec le gouvernement du Québec et être à l’écoute des communautés francophones et anglophones minoritaires.
Le gouvernement fédéral est conscient et préoccupé par le déclin du français. En ce qui concerne les langues officielles, c’est très important de travailler avec le gouvernement du Québec et aussi avec les communautés anglophones du Québec.
Croyez-vous que les francophonies du Canada sont conciliables? Peuvent-elles s’entendre et peuvent-elles se comprendre?
L’une des meilleures images que j’ai eues dans ma vie remonte à l’époque où j’étais président des Jeux de la francophonie canadienne, en 2008. Nous étions les hôtes, à Edmonton. C’était le 15 aout, en pleine Fête de l’Acadie.
Les jeunes ont décidé d’eux-mêmes de la célébrer en prenant tous leurs drapeaux francoprovinciaux et territoriaux, et ils se sont mis à défiler en parade. À un moment, ils ont tous sifflé et ont commencé à courir, avec leurs drapeaux panfrancophones. C’est une image que je n’oublierai jamais, avec la joie pure des jeunes des différentes délégations francophones.
Aussi, pendant 11 ans, j’ai été ténor avec la chorale francophone Saint-Jean en Alberta. On a voyagé à travers le pays et le monde. Quand on a chanté à Québec en 2008, il y avait des Québécoises et Québécois en larmes parce qu’ils en ont appris un peu plus sur l’histoire de la francophonie hors du Québec. Ils ont vu les racines entre le Québec et l’Ouest et ils voulaient juste en savoir plus.
Alors est-ce qu’on peut tisser plus de lien? Absolument. Et lorsque les diverses identités francophones d’un océan à l’autre peuvent s’entendre, [elles] peuvent se réunir pour pérenniser l’avenir facilement.