En 2022, d’après une étude menée par la Queensland University of Technology, chaque jour environ 3,2 milliards de photos sont partagées sur les réseaux sociaux. Environ 400 millions sont partagés sur le réseau social Facebook. Des chiffres qui donnent le tournis et face à cette ampleur, il est important d’avoir une bonne hygiène numérique, notamment lorsqu’il s’agit de photos d’enfants.
Pour Fyscillia Ream, cofondatrice de la Clinique de cyber-criminologie et coordonnatrice scientifique pour la Chaire de recherche en prévention de la cybercriminalité, le partage de photos d’enfants doit être pris au sérieux. « Le premier risque avec ces partages est que les photos se retrouvent dans des réseaux de pédocriminels. C’est évidemment le risque qui effraie le plus les parents. Mais il est bel et bien réel. Les photos d’enfants peuvent être utilisées comme monnaie d’échange.
« Je prends Facebook comme exemple. Il arrive de recevoir des demandes d’amis de personnes que nous ne connaissons pas ou que nous pensons connaître. Mais qui sont juste un moyen d’accéder aux photos parce qu’il y a beaucoup de photos d’enfants. Ou même tout simple si ton profil est public, tout le monde a accès à tes photos et elles peuvent se retrouver dans des réseaux de pédocriminels.
« Quand il y a des arrestations de réseaux de pédocriminels, il y a des dizaines de milliers de contenus. Que ce soit des photos simples à des photos que des pédocriminels peuvent juger suggestives ou encore des photos d’enfants victimes d’abus sexuels. »
Vie privée
Fyscillia Ream se veut aussi rassurante en insistant sur le fait que toutes les photos de tous les enfants ne se retrouvent pas forcément dans ces réseaux. Cependant d’autres risques existent qui ne sont pas négligeables. « Un enfant va aussi devenir adulte et si des photos de lui enfant sont partagées sur les réseaux sociaux, son identité virtuelle est déjà créée. Alors quand la personne va chercher des emplois, il va être possible de retracer toute son enfance. C’est une question de vie privée.
« Évidemment, certains vont arriver à faire la part des choses en disant que ce n’est pas du contenu intéressant. Mais l’enjeu réside dans le consentement et la vie privée de l’enfant. Est-ce qu’il a envie que des photos de lui soient partagées sur les réseaux sociaux?
D’ailleurs, le journal The Atlantic publiait à la fin du mois de mai 2023, un article, The First Social-Media Babies Are Growing Up—And They’re Horrified, qui montrait les enjeux liés à la vie privée des enfants surexposés sur les réseaux sociaux. « Il y a de plus en plus d’études sur les enfants qui ont grandi en étant exposés sur les réseaux sociaux. Souvent, ils ont le sentiment d’avoir été manipulés pour faire du contenu sur les différentes plateformes.
« Ils ont aussi l’impression de ne plus avoir de vie privée. Leur enfance a été partagée avec des millions de personnes qui les ont vu grandir sur les réseaux sociaux et il y a ce sentiment de ne rien avoir pour soi. »
Attention au développement de l’intelligence artificielle
L’arrivée récente dans la vie du grand public de l’intelligence artificielle questionne également sur les risques potentiels de partager des photos. « La réutilisation d’images des enfants est un enjeu devenu plus récent avec l’intelligence artificielle. Il est possible de modifier l’apparence de l’enfant pour le vieillir et de le placer dans des situations inexistantes.
« Je reconnais que pour l’instant ce n’est pas tout le monde qui est en mesure d’utiliser l’intelligence artificielle. Mais avec son développement, il faut se montrer plus prudent et anticiper les risques. »
« Il y a de plus en plus d’études sur les enfants qui ont grandi en étant exposés sur les réseaux sociaux. Souvent, ils ont le sentiment d’avoir été manipulés pour faire du contenu sur les différentes plateformes. »
Fyscillia Ream
Adopter de bonnes pratiques
La tentation de partager des photos d’enfants peut se comprendre du côté des parents et des tuteurs légaux. Fyscillia Ream partage quelques conseils pour le faire en toute sécurité. « Outre pour les photos d’enfants, je conseillerais de rendre privés les comptes qu’on a sur les réseaux sociaux. Il faut restreindre au maximum qui peut voir nos publications pour que personne, mis à part nos amis ne puissent accéder à notre contenu.
« Également, même si l’enfant n’a pas de réseaux sociaux, il est important de ne pas partager son prénom et son nom. Avec ce peu d’informations, il est possible de retrouver le lieu d’habitation, l’école fréquentée. Une recherche sur Google peut permettre beaucoup de choses.»
Il existe aussi d’autres moyens plus sécuritaires pour envoyer des photos d’enfants. « Je comprends que l’on veuille partager des photos de nos enfants quand ils font une activité ou quoique ce soit. Il est possible de le faire via des canaux de messageries privées comme WhatsApp ou Signal. C’est plus sécuritaire que sur un réseau social qui n’est jamais totalement privé.
« C’est important de se rappeler que lorsque quelque chose est publié sur internet, ça reste sur internet pour toujours. Il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de publier. »
(1) Il existe une vidéo de sensibilisation sur cette question que l’intervenante tient à partager