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Le Manitoba a été une terre un peu dépaysante pour Serge Nguena, originaire de Douala, capitale économique du Cameroun avec près de quatre millions d’habitants. Comme pour beaucoup de nouveaux arrivants, c’est la météo qui a retenu son attention. « Je suis arrivé à l’automne 2015, avant les vagues de froid (rires). Si j’ai fait la bêtise de sortir en chemise par une journée de soleil, en rentrant chez moi le soir, j’avais appris à toujours avoir une veste avec moi. »

Leçon apprise pour Serge Nguena, et ce n’est pas le froid qui lui a fait peur puisque le Camerounais a posé ses valises au Canada depuis maintenant huit ans.  « Je n’avais pas vraiment le projet de venir au Canada. Je venais de finir ma maîtrise en biochimie. Je voulais poursuivre en doctorat sauf que chez nous, pour rentrer en thèse, il faut payer. C’est quelque chose comme 10 000 $. Sauf que le niveau de vie n’est pas le même qu’au Canada, les familles se ruinent au Cameroun pour envoyer leurs enfants en doctorat.

« De mon côté, ce n’était pas envisageable. Alors j’ai postulé en Italie. Je parlais un peu italien, j’avais fait trois ans de cours. Mais je n’étais pas sûr d’avoir le niveau. J’ai postulé en France aussi. Sauf que c’est très difficile d’avoir une place en doctorat en France, déjà pour les Français, alors pour les étudiants étrangers…

« C’est là qu’est apparue l’option de venir au Canada. Je me suis lancé et en arrivant, j’ai compris que mes diplômes n’étaient même pas reconnus. J’étais coincé. »

Pourtant, là encore, Serge Nguena ne se décourage pas.  « J’ai décidé de reprendre mes études à l’Université de Saint-Boniface. Alors j’ai commencé en études infirmiers. À trois mois de finir ma première année, l’université m’a demandé un test de langue anglaise. Finalement, les choses n’ont pas fonctionné. Je me suis donc réorienté dans un baccalauréat en éducation. »

Une force de caractère

Francophone, Serge Nguena était ravi de découvrir que l’Ouest canadien offrait des occasions de s’épanouir en français. « J’avais entendu parler du Manitoba parce que c’est l’une des provinces avec les frais de scolarité les plus bas du pays. Je savais qu’il y avait une communauté francophone. Mais je ne l’imaginais pas si grande et si vivante!

« C’est drôle parce que j’ai quitté mon pays où le français est majoritaire et où des guerres ont lieu avec les régions anglophones minoritaires. Je suis arrivé au Manitoba où le français est minoritaire dans une province anglophone. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre ce qui se passait dans mon pays. C’est fou qu’il faille quitter son pays pour mieux le comprendre. »

Heureusement que Serge Nguena est capable de relativiser les choses de la vie, car il a traversé des épreuves qui auraient pu lui faire baisser les bras. « Je me suis retrouvé à terminer mon baccalauréat en pleine année de pandémie. Notre stage était donc annulé jusqu’à nouvel ordre. Sauf que mon passeport arrivait à expiration, ainsi que mon permis d’études. Mon ambassade me disait de m’adresser à l’Immigration et l’Immigration de m’adresser à mon ambassade! C’était un véritable stress. Je suis tombé en dépression. Je n’avais plus rien : ni passeport, ni papiers d’immigration, ni carte de santé, ni carte de crédit.

« J’ai écrit aux députés, aux sénateurs, au Premier ministre canadien, à l’Immigration. Je n’avais aucune réponse. Finalement, fin 2020, le ministre de l’Immigration a promis de faire quelque chose pour ceux qui sont en situation difficile. J’ai reçu une lettre fin 2021 qui me disait que je pouvais travailler avec ce papier. »

C’est donc deux années complètes que Serge Nguena a dû mettre entre parenthèses. « J’ai commencé à postuler dans les divisions sauf qu’aucune ne m’acceptait parce qu’elles n’étaient pas au courant de cette mesure exceptionnelle. Et là, la Division scolaire franco-manitobaine me reçoit en me disant : Ok oui, nous sommes au courant des problèmes et de cette mesure. C’était un tel soulagement! Les recruteurs de la DSFM ne savent pas à quel point ils m’ont sauvé de ma situation et de ma dépression.

« Je leur ai tout de suite demandé à aller au rural! Je ne savais pas qu’en commençant à la DSFM on était souvent envoyé au rural. Moi je voulais fuir le stress, la ville, etc. »

Une véritable intégration

C’est ainsi qu’en septembre 2022, l’enseignant se retrouve à La Broquerie avec ses valises. « Bon, on me parlait d’un village donc je m’imaginais un village de chez moi. Et le premier jour où j’arrive à La Broquerie, on traverse le village en deux minutes! (rires) Ma première question a été de savoir combien d’élèves j’allais avoir dans ma classe dans un petit village comme ça.

« Ma deuxième question a été le logement. Les résidents m’ont reçu comme un enfant du village, je me suis senti tellement choyé. L’école m’a mis en contact avec plusieurs résidents. J’ai d’abord vécu chez Paul et Yvette Chartier, ils avaient une chambre libre pour moi. Je suis resté deux ou trois semaines. Ensuite, je suis allé chez Henri et Diane Turenne, j’avais un sous-sol pour moi tout seul. Je partageais les repas avec eux. Diane me préparait même le déjeuner le matin. J’étais gêné de recevoir autant de générosité. »

Par la suite Serge Nguena a pu trouver un logement, « le seul disponible! Il y a très peu de logements locatifs disponibles à La Broquerie. Surtout que je n’avais pas de voiture au début. Je faisais mes épiceries avec Yvette, elle pensait à moi à chaque fois. C’était tellement touchant.

« Je me suis très bien intégré à La Broquerie, j’ai rencontré les paroissiens et j’ai créé beaucoup de connexions. Les premières semaines quand je sortais, tout le monde savait qui j’étais, comme si on était amis intimes depuis des années. Ça me rappelait mon pays.

« Cet accueil et tout cet amour m’ont vraiment permis de m’enlever le stress de l’immigration et de me remettre sur pied au niveau de ma santé mentale. »