Publié par l’éditeur français Hermann, Penser le néant est une oeuvre dense pour laquelle Antoine Cantin-Brault a pris son temps. « J’ai fait une demande d’année sabbatique pour préparer ça. Le livre m’a pris deux ans à faire. Un peu plus d’un an d’écriture et le reste était réservé à la révision. »
Ce premier livre est l’aboutissement, selon Antoine Cantin-Brault, de plusieurs recherches que le professeur avait déjà faites. « Encore que dans ce livre-là, il n’y a rien que j’ai pris d’ailleurs, ce n’est pas un recueil d’articles. Tout est original », précise Antoine Cantin-Brault.
L’auteur s’explique aussi sur son choix d’une maison d’édition française plutôt que canadienne, voire winnipégoise. Pour Antoine Cantin-Brault, il s’agissait surtout de bien savoir à quel public il allait s’adresser avec ce livre. « Je regardais bien sûr pour publier au Canada. Mais c’est certain que mon sujet, en français, appelait plutôt à un public plus large en France. Même s’il n’est pas non plus beaucoup plus large, il y a là-bas plus de philosophie publiée dans plusieurs maisons d’édition. Et puis, quand on écrit un livre, c’est important de trouver son lecteur. Il fallait parler à quelqu’un. Là, je parle à des spécialistes. Effectivement, il faut avoir un certain bagage pour le comprendre, je ne le cache pas. »
Sans vouloir compliquer les choses, et tout en évitant la vulgarisation à outrance, Antoine Cantin-Brault s’est donc totalement plongé dans le néant. Il a alors fallu une approche. Sous le titre principal Penser le néant, on peut aussi lire en couverture du livre : Hegel, Heidegger et l’épreuve héraclitéenne. C’est en s’intéressant aux visions des deux philosophes allemands qu’Antoine Cantin-Brault y a vu un chemin de réflexion à exploiter.
« Ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est de voir qu’Hegel et Heidegger parlent beaucoup d’Héraclite. Héraclite, penseur présocratique, avec à peu près 130 fragments qui existent de lui. C’est une pensée obscure. Même dans l’antiquité, son surnom était “L’Obscur”. Et entre Hegel et Heidegger, on sent que la pensée d’Héraclite est un gros point d’achoppement. On sent que les deux veulent s’approprier Héraclite, mais en proposant des philosophies qui sont en partie très proches, mais sous plusieurs aspects diamétralement opposées. »
Approche occidentale
Au cours de ses recherches, Antoine Cantin-Brault a compris que ces différences et points communs se jouaient autour d’une notion majeure : le néant. « On peut dire que les deux philosophes utilisaient la méthode héraclitéenne pour penser le néant. Mais ils n’ont pas la même conception d’Héraclite. Ça nous donne donc une appréciation de ce qu’ils pensent être Héraclite, mais aussi du néant. Et puis finalement, le néant est presque devenu plus grand que toutes ces relations-là. »
Alors comment Antoine Cantin-Brault appréhende le néant dans son livre? Ce concept, qu’il ne travaille que très peu avec ses étudiants, peut-il être défini? « C’est quelque chose de très difficile à faire, car si l’on peut le définir, est-ce encore du néant? Ce n’est pas quelque chose, mais c’est là. »
À noter que le néant est aussi à diviser en deux : le néant occidental et le néant oriental. Dans le concept occidental, le néant est toujours second par rapport à l’être. C’est la principale différence avec l’orient. « En occident, le néant est toujours vu de manière négative. C’est un trou, un vide, c’est la négation. En orient, le néant n’est pas vu dans l’optique du rejet. »
L’être et le néant
Selon Antoine Cantin-Brault, les deux philosophes allemands mis en avant dans le livre ont « pris au sérieux le néant », et ce même s’ils sont occidentaux. Cependant, Hegel et Heidegger, même en poussant l’approche héraclitéenne au maximum, sont limités par cette dernière.
« Hegel et Heidegger ont essayé de penser le néant à travers Héraclite. Mais par Héraclite, l’être et le néant sont dans une relation d’unité et l’être est premier sur le néant. Maintenant, l’unité de l’être et du néant chez Hegel et Heidegger sont différentes. Mais la conception occidentale d’Hegel et Heidegger les force toujours à commencer par l’être. L’approche héraclitéenne, qui est finalement une approche très occidentale pour penser le néant, n’est peut-être pas la meilleure. »
Le professeur de philosophie tire alors quelques conclusions de son étude. « Est-il possible de penser le néant indifféremment de l’être? », s’interroge Antoine Cantin-Brault.
Finalement, entre ses premières recherches et les derniers mots qu’il a pu écrire, le néant a évolué pour Antoine Cantin-Brault. Il donne quelques éléments sur son néant. « J’ai l’impression que le néant est un lieu auquel nous n’avons pas nécessairement accès, mais à partir duquel ça nous permet d’avoir accès à tout. C’est un lieu de pensée. D’où le titre du livre. Car penser le néant, c’est penser la limite de la pensée. C’est au bout de là où la pensée s’avoue un peu vaincue. Le néant, on peut juste l’approcher, car y entrer qu’est-ce que c’est? La mort? Mais cette approche est pertinente, ça nous permet de comprendre le monde dans lequel on est. »