Par Brenda Sawatzky, journaliste à l’Initiative pour le journalisme local.

Jen Gower, d’Île-des-Chênes, a deux enfants de moins de sept ans qui ont des réactions anaphylactiques à certains aliments. Elle a retiré ses enfants de la Division scolaire Rivière-Seine cette année après avoir appris que l’école n’avait toujours pas amélioré ses politiques en matière d’allergies.

« Les politiques de la majorité des écoles sont insuffisantes, déclare Mme Gower. Nous pouvons éduquer davantage, mais le problème réside dans la manière dont nous interprétons et appliquons ces politiques. »

L’expérience de sa famille l’année dernière a montré que l’école de ses enfants n’était pas en mesure de leur fournir une atmosphère sûre pour consommer de la nourriture.

L’un de ses enfants a fait une réaction à un aliment et est rentré chez lui malade. Mme Gower se réjouit que la situation n’ait pas empiré et que son enfant se soit rétabli.

« Nous avons eu de la chance que la réaction soit bénigne, mais il y a quelque chose de pas normal lorsque le responsable de l’école s’obstine avec moi pour savoir si mon enfant a eu une réaction allergique ou non, dit-elle. Nous avons essayé toute l’année dernière de trouver une solution. On est mis en concurrence avec d’autres parents de la communauté et on nous stéréotype négativement en disant que nous sommes contre les autres. »

Étude sur les allergies alimentaires

En juin 2022, le journal officiel de la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique (SCAIC) a publié une étude intitulée It Takes a Village. Cette étude a recueilli des informations sur les perceptions des parents, des élèves, des enseignants et du personnel scolaire de Winnipeg concernant l’impact des allergies alimentaires sur les élèves d’âge scolaire et leurs familles.

Selon l’étude, on estime que les allergies alimentaires touchent au moins 6 % des enfants. Les enfants souffrant de ces allergies et leurs enseignants ont besoin du soutien et de la coopération des parents et des camarades de classe souffrant ou non d’allergies alimentaires pour éviter des réactions potentiellement mortelles.

« L’éducation aux allergies alimentaires est nécessaire pour l’ensemble de la communauté scolaire et devrait inclure les parents d’enfants d’âge scolaire avec ou sans allergie alimentaire, les élèves avec ou sans allergie alimentaire, les enseignants et le personnel de l’école », selon l’étude de la SCAIC.

Des élèves “mis de côté”

Lorsque Mme Gower a appris que ses enfants déjeunaient dans le couloir, à l’écart des autres élèves, elle a essayé de travailler avec les administrateurs et les groupes de parents bénévoles pour améliorer la situation, par exemple en mettant en place un programme de repas supervisés ou payants.

Comme aucune nouvelle mesure n’avait été mise en place en septembre, et qu’on lui avait dit qu’il n’y avait plus rien à faire, elle a pris la décision de faire l’école à la maison.

« Oui, l’examen des politiques prend du temps, mais rien n’a changé pour moi en plus d’un an, déplore Mme Gower. L’école a admis que la supervision était un problème, mais elle dit qu’elle a les mains liées. Personne ne dit qu’il est compétent en la matière. Il n’y a pas d’application de la politique. J’ai retiré mes enfants de l’école parce que je ne veux pas que mon enfant de sept ans soit responsable de surveiller mon enfant de cinq ans lorsqu’ils mangent ensemble dans le couloir. »

Mme Gower explique que cette expérience a donné à ses enfants un sentiment de mise à l’écart, ce qui a eu des répercussions sur leur santé mentale.

« Ces enfants ont déjà peur, même s’ils voudraient bien que ce ne soit pas le cas, rappelle-t-elle. Lorsqu’ils sont traités comme des êtres différents, ils se sentent aussi exclus de la société. Ils commencent à se demander si cet environnement est sûr. Les adultes vont-ils me protéger? Mon enfant a souffert d’anxiété, non pas à cause de l’allergie, mais parce qu’elle a été exclue. Elle ne veut pas manger dans le couloir. Les enfants veulent être ensemble. Ils veulent être des enfants. »

L’anxiété et l’intimidation sont des expériences courantes pour les personnes souffrant d’allergies alimentaires. Les participants à l’étude de la SCAIC ont indiqué que les enfants souffrant d’allergies alimentaires étaient victimes d’intimidation, que les enfants qui apportaient accidentellement des aliments interdits à l’école étaient également victimes d’intimidation, et que les parents pouvaient se rendre compte qu’il y avait de l’intimidation autour de cette question.

Éviter les émotions

Mme Gower comprend que personne ne veut qu’on lui dise ce qu’il peut ou ne peut pas manger à l’école, mais elle voudrait que les parents et les enfants qui n’ont pas d’allergies jouent un rôle essentiel pour assurer la sécurité de tous.

« Nous ne voulons pas contrôler le repas de quelqu’un d’autre, dit-elle. Nous ne voulons priver personne de ce qu’il peut manger. »

Elle souhaite que la conversation reste ouverte et que l’émotion n’entre pas en ligne de compte.

Elle raconte qu’une discussion récente sur Facebook a pris une tournure négative après qu’un animateur d’une émission de radio locale a présenté au public une lettre qui avait été envoyée aux parents d’élèves d’une école de Winnipeg.

« La lettre disait que le bœuf, le poulet, le mouton et le porc ne pouvaient pas être envoyés en classe. Les parents étaient dans tous leurs états, raconte Mme Gower. Ceci n’est pas utile, et je ne demande pas d’aller au-delà de la raison. Il faut laisser aux gens le temps de s’adapter et de réaliser qu’ils devront préparer les dîners différemment. Ils ont besoin de temps pour modifier leurs habitudes d’achat. Il y a du stress lorsqu’il s’agit de savoir quels produits acheter pour préparer les dîners de nos enfants… Nous n’essayons pas d’être les Karen du monde. Nous voulons simplement que nos enfants restent debout et qu’ils respirent, tout comme vous. »

Politiques scolaires

Dans de nombreuses divisions scolaires, les politiques relatives aux allergies alimentaires ne sont pas facilement accessibles. Sur les sites Web de la Division scolaire Hanover et de la Division scolaire Rivière-Seine, les informations sont difficiles à trouver.

Malgré la demande de The Citizen, la DSH n’a pas fourni sa politique en matière d’allergies alimentaires. Les parents d’élèves de la division ont déclaré qu’ils devaient demander des informations à chaque enseignant car elles n’étaient pas fournies d’emblée au début de l’année scolaire.

« Chaque école gère les aspects opérationnels conformément aux directives canadiennes sur les allergies alimentaires, explique Shelley Amos, surintendante de la DSH. Elles en discutent avec les parents lors de l’inscription une fois qu’une allergie a été identifiée. »

La DSRS n’a pas pu être jointe pour un commentaire et n’a pas fourni de politique en matière d’allergies.

La Division scolaire Sunrise, voisine de la DSRS, dispose d’un document détaillé intitulé Student Health Services Requirements Process (Anaphylaxis) disponible sur son site web. Ce document établit des procédures sécuritaires pour les salles de dîner et les aires de restauration.

Le gouvernement provincial a publié en 2005 un manuel de nutrition scolaire qui mentionne la gestion des allergènes alimentaires et renvoie les éducateurs à cinq sources d’information sur l’asthme, les allergènes et la sécurité des enfants souffrant d’allergies alimentaires.

Une brochure sur les lignes directrices provinciales en matière de nutrition pour les écoles, publiée en 2014, comportait une clause de non-responsabilité indiquant qu’elle ne contenait pas d’informations sur la gestion des allergies alimentaires.

Besoin d’éducation

Dans l’étude de la SCAIC de 2022, les parents d’enfants souffrant ou non d’allergies alimentaires, ainsi que le personnel scolaire, ont tous signalé le besoin général d’une plus grande éducation sur les allergies alimentaires dans les écoles.

Les parents d’enfants non allergiques cités dans l’étude ont reconnu qu’ils avaient eux-mêmes besoin de plus d’éducation pour prévenir les contacts croisés entre les aliments, reconnaître les réactions, sur la gravité des allergies alimentaires et l’intimidation autour des allergies alimentaires.

Les enseignants ont estimé qu’eux-mêmes et leurs élèves, qu’ils soient ou non atteints d’allergies alimentaires, avaient besoin d’être mieux formés à la reconnaissance d’une réaction allergique et à l’administration de l’auto-injecteur d’épinéphrine.

Plus encore, les participants à l’étude ont déclaré qu’ils voulaient apprendre. Parmi les personnes interrogées, 100 % des étudiants souffrant d’allergies alimentaires et deux-tiers des étudiants n’ayant pas d’allergies alimentaires souhaitaient en savoir plus.

D’après l’expérience de Mme Gower, c’est vrai.

« Les enfants sont ouverts à l’idée, dit-elle. Et de nombreux parents font également preuve d’une grande empathie. Nous avons constaté qu’il n’y a rien de plus déterminé que des enfants qui décident de se protéger les uns les autres. Les enfants sont prêts. Il faut juste que les adultes s’y mettent aussi. »

Qu’est-ce qui pourrait aider?

Selon Mme Gower, les parents d’enfants souffrant d’allergies alimentaires anaphylactiques sont conscients qu’aucune école n’atteindra le même niveau de protection qu’une famille à la maison, mais l’empathie, la communication et l’éducation peuvent aider.

Elle pense qu’une politique classe par classe peut ne pas suffire et que certaines interdictions totales à l’échelle de l’école peuvent être nécessaires, en particulier jusqu’à ce que les jeunes enfants soient assez grands pour s’autogérer de manière fiable.

« Lorsque vous avez des enfants plus jeunes… et que la surveillance est insuffisante, des accidents se produisent, explique Mme Gower. Je ne parle pas que des cacahuètes et du beurre de cacahuète. Les produits laitiers sont aussi très difficiles à gérer. Il faut que les gens se rendent compte qu’on ne veut pas seulement dire brique de lait, yaourt ou morceau de fromage, mais aussi muffins ou petits gâteaux. Certaines choses peuvent être nettoyées ou jetées, mais les produits qui peuvent s’étaler laissent des résidus. »

Selon elle, la supervision fait défaut dans les écoles rurales.

« Dans les communautés rurales, combien d’adultes supervisent les élèves? Parfois aucun. Parfois, c’est un enfant plus âgé. Et ils ne sont pas dans la salle de classe pendant toute la durée du repas. Ils passent d’une salle à l’autre. »

Au minimum, Mme Gower suggère que des informations sur les allergies, accompagnées de photos, soient affichées de manière visible afin d’encourager la prise de conscience des aménagements nécessaires dans l’école. En outre, des lettres contenant des informations détaillées devraient être envoyées à la maison et présentées aux classes où des allergies sont présentes.

De cette manière, les enseignants et les bénévoles recevraient l’éducation qui les concerne. Ils pourraient alors être plus proactifs avec leurs élèves.

Mme Gower estime également qu’il existe d’autres moyens que la pizza et le gâteau pour célébrer les étapes importantes ou les fêtes des élèves.

« La nourriture ne devrait pas être une récompense en général », dit-elle.

Si les parents souhaitent envoyer des objets à partager à la classe pour la fête de leur enfant, elle recommandera des autocollants, des crayons ou des gommes amusantes. Avec l’aide de l’enseignant.e, les parents peuvent aussi offrir un livre ou un jeu que l’enfant pourra présenter à la classe. Une petite activité de classe, comme la plantation d’un arbre, d’un buisson ou de fleurs, peut également être appréciée par tous sans impliquer de nourriture.

Enfin, Mme Gower assure que l’information est mieux reçue et que le changement social est plus efficace si les parents font preuve d’empathie à la maison.

L’étude de la SCAIC confirme ce point de vue, révélant que « les parents influencent le système de croyances de leurs enfants, et l’éducation sur les allergies alimentaires des parents d’enfants sans allergie alimentaire contribuera à l’éducation des enfants qui n’ont pas d’allergie alimentaire ».

Mme Gower demande aux éducateurs et aux parents de prendre conscience que les allergies alimentaires sont un sujet de conversation important, mais qui peut être amical. Elle espère que des changements systémiques se produiront dans les divisions scolaires locales.

« Jusqu’à maintenant, il y a eu un leadership descendant qui n’était pas assez communicatif sur ce sujet, estime-t-elle. Les dirigeants ne nous écoutent pas et nous disent : Acceptez d’être mal à l’aise. Ceci n’est pas acceptable. Quand on n’est pas capable de diriger avec empathie, on crée des environnements dangereux. Nous voulons la même chose que tous les autres parents : que nos enfants soient en vie et qu’ils respirent. Nous pouvons y arriver. En tant que communauté, nous pouvons le faire. »