Ils sont près de 80 à s’être rendus, le 18 septembre, au Centre culturel franco-manitobain ou en ligne, pour assister à une conversation entre quatre femmes et mères métisses, parfois également enseignantes ou grands-mères : Huguette Dandeneau, Elaine Beauchemin, Jocelyne Gagnon et Véronique Reynolds.

Toutes les quatre avaient répondu présentes à l’invitation de venir partager leur propre expérience de transmission de leur culture métisse, et démarrer ensemble une conversation.

Car comme le rappelait Arianne Mulaire, directrice de l’UNMSJM et modératrice de cette table ronde, « cette table ronde, ce ne sont que quelques expériences parmi beaucoup d’autres. C’est juste le début d’une grande conversation ».

Pour sa part, Jocelyne Gagnon, qui a trois enfants aujourd’hui jeunes adultes, n’a appris que vers 40 ans qu’elle était Métisse. « Quand je l’ai appris, j’ai tout de suite recherché ce que ça voulait dire d’être Métisse. Mais l’expérience qui nous a le plus marqué comme famille, ça a été d’être choisis comme famille officielle du Festival du Voyageur. On a beaucoup lu sur notre héritage métis, beaucoup discuté. C’est après ça qu’on est tous allés chercher nos cartes métisses et mes fils, leurs permis de chasse et de pêche. »

Elle précise que son mari étant lui aussi Métis, « on s’est rendu compte qu’on faisait déjà des choses en famille sans réaliser qu’elles étaient ancrées dans notre culture métisse ».

Aujourd’hui, toute la famille continue d’apprendre sur sa culture métisse. « Avec ma fille, j’ai participé à beaucoup d’ateliers, de perlage et de mocassins par exemple. Un de mes fils a fait les Jeux autochtones d’Amérique du Nord cet été, et ça a été une vraie découverte identitaire pour lui d’être avec plein d’autres jeunes Autochtones. Il a vraiment reconnecté avec sa culture. »

Jocelyne Gagnon souligne aussi l’importance des supports visuels dans ce cheminement. « Chez nous, la transmission se fait surtout par des photos. On a aussi un papier officiel de notre première ancêtre Métisse où il est écrit half-breed et elle a fait une croix pour signer. C’est très important pour mes enfants de pouvoir voir ça. C’est plus concret avec du visuel. »

En famille, mais pas à l’école

À l’inverse de Jocelyne Gagnon, Huguette Dandeneau, aujourd’hui mère de quatre enfants et grand-mère de sept, a su dès l’enfance qu’elle était Métisse. Son père et son grand-père, qui tenaient un magasin, avaient pour habitude le dimanche de passer à travers tous les papiers de crédits et déchirer ceux des familles qui auraient de la difficulté à payer, ou penser à ce qu’ils pourraient leur demander comme bien ou service pour « régler la facture », selon ce que les gens pourraient facilement donner.

« Aider la communauté et partager les biens, c’était la façon de faire chez nous. » Une façon de faire bien ancrée dans les valeurs métisses. Mais attention, « il ne fallait surtout pas dire qu’on était Métis, pour ne pas perdre de clients au magasin! À l’école, je n’en parlais jamais. »

Les choses ont bien changé depuis pour Huguette Dandeneau, qui a toujours eu très à cœur de partager avec ses enfants et petits-enfants sa culture métisse. « Avec nos enfants, et maintenant nos petits-enfants, on se retrouve tous régulièrement pour parler de nos ancêtres. On a la chance d’avoir chez nous des artefacts et des photos, alors on nomme les ancêtres et les membres actuels de la famille, et on raconte leurs histoires. On fait des petits jeux pour mieux se souvenir de qui est qui. Et on le répète. Le dire une fois, ça ne suffit pas! »

La famille Dandeneau-Mulaire passe aussi beaucoup de temps à cuisiner ensemble et à se rassembler. « On a le pique-nique des Mulaire, où on se rassemble tous. On a même une chanson thème que les enfants ont inventée! »

Selon leur mère et grand-mère, les enfants Dandeneau ont en effet bien repris le flambeau culturel. D’ailleurs, sa fille créatrice de mode et entrepreneure, Andréanne, fière Métisse, réutilise souvent dans ses créations un motif de broderie qui lui vient de son ancêtre Catherine Mulaire.

Tout comme Huguette Dandeneau, Elaine Beauchemin, enseignante à la Division scolaire franco-manitobaine et mère de trois enfants aujourd’hui adultes, ne parlait pas de sa culture métisse à l’école. « Mais on vivait cette culture en famille.

On avait toujours des gens autour et on nourrissait tout le monde, c’était une vie très communautaire. On travaillait ensemble, mais surtout on venait partager des histoires, parler. C’était toute une expérience. »

D’autres défis à l’école aujourd’hui

Aujourd’hui, comme enseignante, elle se réjouit de constater que les choses ont changé. « On en parle beaucoup plus à l’école, surtout avec Vérité et Réconciliation. Les jeunes posent des questions et on y répond. On a des discussions ensemble.

« Ce qui est difficile, confie-t-elle, c’est quand être Métis, c’est dans ton sang, tes valeurs, tes expériences, mais que tu manques de confiance car ça n’avait jamais été discuté ouvertement. Quand on prendra vraiment confiance en nous, on roulera beaucoup plus vite avec la transmission de la culture métisse. »

Elle aussi mère de famille et enseignante d’éducation autochtone à la Division scolaire Louis-Riel, Véronique Reynolds souligne un autre grand obstacle à la transmission de la culture métisse : l’accès aux ressources. « Beaucoup de ressources sont en anglais, ou alors elles parlent des Métis du Québec ou des Maritimes, pas de la Rivière-Rouge! »

Elle s’est d’ailleurs réjouie de découvrir le cahier Ma culture Métisse et ses balados associés. « C’est vraiment bien d’avoir quelque chose en français, et pas seulement par écrit. Avec les balados, on peut entendre des voix métisses. Ça nous ramène à la tradition des histoires orales si importante chez les Métis. »

Un cahier qu’Huguette Dandeneau recommande de remettre à la DREF (Direction des ressources éducatives françaises).

Actions positives

Véronique Reynolds a aussi constaté une action positive de l’école sur ses propres enfants, qui sont à la DSFM. « Comme maman, j’ai parfois pensé apprendre quelque chose à mes enfants sur leur culture métisse, par exemple qui était Elzéar Goulet. Mais je me suis rendue compte qu’ils le savaient déjà, ils avaient parlé de lui en classe! Grâce à l’école, on peut maintenant échanger sur ce qu’on a appris eux et moi, sur nos expériences. »

Elle mentionne par ailleurs que la DSLR fait un gros travail de « réenseigner l’histoire en parlant des effets néfastes de la colonisation, pour s’assurer que cette nouvelle génération n’apprenne pas d’idées fausses comme nous ».

« C’est merveilleux de voir l’ouverture d’esprit des écoles aujourd’hui, commente Huguette Dandeneau. Ça amène nos jeunes à mieux connaître leurs racines, à savoir qui étaient réellement leurs ancêtres et ça, ça va leur donner des ailes. »

Et l’apprentissage n’est pas réservé aux plus jeunes. Elaine Beauchemin a partagé avoir fait un camp intergénérationnel de cinq jours cet été, dans la nature. « J’ai énormément appris et dès que je suis sortie de là, je me demandais déjà comment transmettre tout ceci à ma famille! »

Véronique Reynolds rappelle par ailleurs que la culture métisse ne doit pas être seulement ancrée dans le passé. « On continue de la faire évoluer, d’écrire l’histoire. C’est important de regarder aussi vers l’avenir. »

Ayant pris le micro en fin de table ronde, David Dandeneau qui fait partie d’un cercle d’Aînés Métis invités par l’Université de Saint-Boniface à aller dans les classes pour parler de la culture métisse, a partagé sur ce point l’expérience « extraordinaire » qu’il avait vécue avec les étudiants internationaux de l’USB.

« J’avais en face de moi des étudiants tous venus de pays d’Afrique différents, et on avait énormément en commun. Certains avaient aussi une ceinture dans leur culture, ou du perlage. On a autant à apprendre des nouveaux arrivants qu’à leur apprendre de nous. Il y a un vrai partage à faire », termine-t-il.