Ce débat n’est pas unique au Manitoba, puisque tout le Canada semble touché. D’ailleurs, la Saskatchewan a adopté une loi à la mi-octobre pour que les parents des enfants de moins de 16 ans donnent leur consentement pour un changement de prénom/pronom de la part de leur enfant à l’école. Le Nouveau-Brunswick étudie la possibilité mettre en place une politique similaire.
L’occasion de se questionner sur le droit des enfants et le droit parental.
Au nom de ce qu’elles considèrent comme leur droit parental, plusieurs personnes revendiquent au travers du Canada qu’elles soient informées si leur enfant souhaite changer de prénom et/ou de pronom dans le cadre scolaire. Plusieurs Provinces ont pris les devants, notamment le Nouveau-Brunswick qui a modifié sa politique 713 sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans le fond, cette politique oblige tous les élèves qui s’identifient LGBTQ2S+ de moins de 16 ans à obtenir le consentement de leurs parents pour utiliser un prénom et/ou pronom différent que celui qui leur a été attribué. La Saskatchewan a adopté une politique similaire.
Ces politiques ont évidemment été décriées par plusieurs associations qui militent pour les droits des enfants et les droits des personnes qui s’identifient LGBTQ2S+.
D’ailleurs, les défenseurs des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan ont produit deux rapports dans lesquels les conséquences de ces politiques sont soulignées.
Me Jennifer Klinck, avocate constitutionnaliste associée au sein du cabinet Juristes Power Law, constate que « certaines personnes qui appuient ces politiques caractérisent le débat entre ceux qui veulent favoriser l’implication parentale et ceux qui veulent exclure les parents des questions importantes de développement identitaire des jeunes trans. Il faut clarifier dès le départ que c’est une fausse représentation ».
Les parents, premiers éducateurs
Pour Me Jennifer Klinck, personne ne nie que le soutien des parents dans le développement des enfants est important.
« Lorsque les parents appuient leurs enfants dans le développement de leur identité de genre, les impacts psychologiques protecteurs sont extrêmement positifs. Mais, par exemple, la politique de la Saskatchewan insiste sur l’obtention du consentement du parent au préalable pour les élèves ayant moins de 16 ans, même lorsqu’il existe un risque de violence physique ou psychologique envers l’élève par ses parents. C’est assez intense comme conséquence, tout de même. »
D’ailleurs, Alain Laberge, lui-même reconnaît que les parents ont un rôle à jouer dans l’éducation des enfants qui ne se substitue pas à celui de l’école.
« Dans toutes ces discussions, à la DSFM, nous avons voulu prendre une approche collaborative en écrivant à nos parents et en leur indiquant le rôle de l’école. Nous n’avons pas la prétention de définir le rôle des parents. Nous reconnaissons que les parents sont les premiers éducateurs de leur enfant, toutefois l’école est là pour aller vers la démocratisation de l’éducation. »
« Dans le débat actuel, on parle des droits parentaux, mais on ignore complètement les droits des enfants. De plus, l’autorité parentale se fonde en grande partie sur la présomption que les décisions parentales favorisent les meilleurs intérêts de leurs enfants. Il est donc clair que ces droits sont assujettis à certaines limites. »
Me Jennifer Klinck
Un contexte difficile
Me Jennifer Klinck tient à souligner que ces politiques s’insèrent dans un contexte où les droits des minorités sexuelles et de genre sont déjà fragiles. « Il y a une vulnérabilité particulière chez les jeunes trans. Dans la décision de la Cour du Banc du Roi de suspendre la politique de la Saskatchewan, la Cour a évalué qu’il y avait un risque élevé de discrimination, de harcèlement, d’intimidation et de violence, ainsi que de comportements à risques, d’automutilations, de suicide, d’anxiété et de dépression causés par le préjudice social et culturel, et non pas par le fait d’être trans.
« C’est important de mettre la question des droits parentaux dans le contexte des préjudices ou des risques auxquels font face les jeunes trans, parce que les choix des parents ou l’implication des parents, notamment des parents qui n’appuient pas leurs enfants, peuvent avoir des effets plus que négatifs sur leurs enfants. »
Pour bien des enfants, l’école est un milieu sécuritaire où ils peuvent aborder des questions délicates. Alain Laberge a reçu depuis le début de l’année scolaire quatre à cinq courriels de la part de parents demandant à exclure leur enfant de la salle de classe lorsqu’il s’agit de sujets touchant la question 2SLGBTQ+. Une requête déclinée par la division scolaire.
« On explique notre fonctionnement. Ce n’est pas de l’endoctrinement, mais bien de l’éducation. On n’incite pas les jeunes à devenir actifs sexuellement, ni à changer de genre, on est inclusif et on veut expliquer aux jeunes que c’est une réalité, que dans notre société, il y a des gens qui vivent ceci. Pourquoi vouloir le nier? C’est la beauté de l’éducation de s’assurer que nos élèves se sentent bien et de s’assurer qu’ils respectent les autres. »
Le droit des enfants ou le droit des parents?
Après avoir posé un contexte autour de toute cette question, Me Jennifer Kinck se tourne vers le mot consentement. Les parents devraient, selon les politiques, donner leur accord pour ce que vivent leurs enfants. D’ailleurs les défenseurs des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan ont insisté là-dessus dans leurs rapports.
Au Nouveau-Brunswick, « il faut aussi ajouter que les parents ne sont pas non plus propriétaires de leurs enfants. Personne n’est propriétaire de ses enfants. Le base des droits parentaux ne se trouve pas dans le droit de la propriété. Il est fondé sur le droit à la vie privée, le droit de l’enfant et de la famille et, éventuellement, sur le droit à la conscience et à l’expression », écrit le Bureau du défenseur des enfants et des jeunes dans son rapport du 15 août 2023, Dans l’ensemble, choisissez la gentillesse : Examen par le défenseur des modifications apportées à la politique 713 et recommandations pour une politique juste et compatissante.
Ce à quoi Me Jennifer Kinck ajoute : « Les droits parentaux ne se trouvent pas dans un droit de propriété ou un droit, absolu de contrôler ses enfants. Les parents ont certains droits notamment contre l’ingérence de l’État dans la famille, donc la vie familiale est protégée. Les droits impliquent aussi les intérêts à l’autonomie, la vie privée de la personne. C’est clair que les parents ont un certain niveau de droits qui sont protégés par la Charte. Leur relation avec leur enfant est protégée. Cependant, il est aussi essentiel de mentionner que les enfants sont aussi porteurs de droits importants dans ce contexte. Ce qu’on appelle droits parentaux découlent en réalité des droits de l’enfant. »
Ne pas ignorer le droits des enfants
D’ailleurs, les droits des enfants viennent du droit international et sont reconnus dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, comme l’explique Me Jennifer Klinck qui détaille quelques droits des enfants.
« Les enfants ont le droit aux conseils de leurs parents, ont le droit d’avoir des décisions prises dans leur meilleur intérêt, ont le droit à l’égalité, c’est-à-dire à ne pas être assujettis à la discrimination. Les enfants ont aussi le droit à l’autonomie, la vie privée, les libertés d’expression, de religion et de conscience. Ces droits sont exercés de façon évolutive selon le développement de la capacité du jeune.
« C’est super important de retenir cette dernière partie. Dans le débat actuel, mais on parle des droits parentaux, on ignore complètement les droits des enfants. De plus, l’autorité parentale se fonde en grande partie sur la présomption que les décisions parentales favorisent les meilleurs intérêts de leurs enfants. Il est donc clair que ces droits sont assujettis à certaines limites. »
Maturité des élèves
La Cour suprême avait d’ailleurs rendu une décision le 26 juin 2009 dans laquelle il était question de l’autorité parentale sur un enfant de 16 ans. La personne refusait une transfusion sanguine en raison de principes religieux et ses parents souhaitaient qu’elle en reçoive une. La Cour suprême avait jugé, à 6 contre un, qu’une personne mineure devrait avoir la possibilité de prendre des décisions de nature médicale, mais que le tribunal devrait intervenir lorsqu’une vie humaine est en danger.
Il est donc clair qu’en fonction de l’âge et du niveau de maturité de l’enfant, il peut être apte à prendre les meilleures décisions dans son intérêt. D’ailleurs, la DSFM en a bien conscience, puisque suivant l’âge de l’enfant, les informations reçues ne sont pas du tout les mêmes.
« Les programmes scolaires sont bâtis sur la maturité des élèves auxquels on s’adresse. Dès la maternelle, nous travaillons sur des concepts de l’éducation à la santé pour les jeunes. Nous n’irons jamais parler de binarité et de non binarité à ces élèves-là. Mais par exemple, on explique que oui, une fille peut jouer avec un camion, et un garçon peut jouer avec des poupées. Nous n’imposons rien, nous montrons ce que le monde extérieur peut offrir.
« Plus tard, vers la 9e année, nous parlons d’éducation sexuelle. On ne dit pas d’avoir des relations sexuelles, nous sommes juste là pour dire que ça pourrait arriver et qu’il y a certains éléments à prendre en considération. Il faut vraiment donner les outils à nos élèves pour qu’ils puissent devenir des adultes dans cette société. »
Détournement d’un sujet
Me Jennifer Klinck voulait aussi noter un point qui lui semble important. « Présenter ces politiques comme une préoccupation de l’implication des parents, c’est vraiment disproportionné. Le défenseur des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick l’indique très clairement dans son rapport. »
En effet, il y est noté : « En résumé, il est difficile de trouver un précédent à la proclamation soudaine par le ministère [NDLR : ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick] d’une politique de droits parentaux fondée sur les parents veulent savoir. Lorsqu’il s’agit de jeunes, il est possible d’imaginer un grand nombre de scénarios dans lesquels les parents pourraient vouloir savoir – qu’il s’agisse d’une élève musulmane qui se débarrasse de son hijab contre la volonté de ses parents, de l’enfant qui refuse l’utilisation d’un prénom ayant une importance culturelle ou familiale pour ses parents, de l’élève qui exprime des opinions politiques que ses parents pourraient détester, ou de l’élève qui boit plusieurs laits au chocolat par jour à la cafétéria de l’école.
« Le ministère a reconnu, dans le document qu’il a soumis dans le cadre de cet examen, que les élèves peuvent bénéficier d’autres mesures d’adaptation, comme le fait pour l’élève de confession musulmane de ne pas participer au cours d’éducation physique pendant le jeûne du ramadan, sans que les parents en soient informés ou que leur consentement soit donné. Le ministère n’a jamais fait de l’intérêt potentiel des parents le critère d’un veto parental sur les choix quotidiens des élèves d’âge plus avancé, ni d’un devoir de conseil de la part du personnel enseignant. »
Pour Me Jennifer Klinck, les choses sont donc assez claires. « C’est vraiment disproportionné d’invoquer les droits parentaux parce qu’on parle de questions d’identité, d’expression de genre. C’est pour cette raison que, pour ma part, c’est évident qu’on est dans le cadre de politiques discriminatoires. »
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