Alors que le développeur entend bien débuter les travaux dès 2024, le conseiller Markus Chambers amènera une proposition concrète ce jeudi 16 novembre, devant le Comité municipal Riel, pour sauver les bois de Saint-Norbert.
Dans une lettre signée du 17 octobre 2023, adressée et déposée dans les boîtes aux lettres des résidents, John Wintrup, l’urbaniste du groupe Tochal Developments, informe que « des transformations » sont prévues là où se trouve présentement la forêt urbaine de Lemay.
Pour répondre aux préoccupations des résidents, fermement opposés au projet de développement, Markus Chambers, conseiller municipal pour Saint-Norbert Rivière Seine, présentera le 16 novembre devant ses collègues du Comité Riel, une motion pour tenter de convaincre la Ville de racheter la parcelle de terre ou de procéder à un échange de terrain avec le groupe propriétaire.
Considérer toutes les options
« La motion demande à la Ville de Winnipeg de considérer toutes les options, y compris travailler avec d’autres niveaux de gouvernement comme la Fédération Métisse du Manitoba (MMF), ainsi que la Manitoba Habitat Heritage Corporation, pour racheter la parcelle de terrain », explique Markus Chambers, qui ajoute qu’en cas de rachat, il aimerait voir le terrain protégé et officiellement transformé en sentier pédestre.
Une « excellente » initiative que salue le conseiller municipal pour Saint-Boniface, Mathieu Allard, qui rappelle que même en cas d’adoption de la motion par le comité, les choses peuvent prendre du temps avant de se mettre en marche.
« La proposition ira alors probablement au comité exécutif du maire Scott Gillingham, puisqu’il s’agit d’affaire avec un tiers. La proposition nécessite d’être envoyée vers le processus budgétaire, qui doit se faire avant la fin mars 2024. On pourrait ne pas avoir de nouvelles d’ici-là. »
De son côté, le troisième membre du Comité municipal Riel, Bryan Mayes, conseiller pour Saint-Vital, a affirmé qu’il soutiendrait la proposition du conseiller Chambers.
Le groupe Tochal Developments est propriétaire depuis sept ans de plus de 8 hectares de forêt et de terrain non développé sur les rives de la rivière Rouge, au bord de laquelle s’étend le quartier Saint-Norbert. Un terrain boisé, que les administrés utilisent depuis des années comme un parc pour s’y promener et observer la faune.
Rencontre communautaire
L’accès aux bois sera fermé au public à compter de la fin du mois de novembre 2023 et jusqu’à la fin des travaux, dont la durée reste à déterminer. La lettre reçue par les gens de Saint-Norbert stipule également : « Nous sommes prêts à rencontrer individuellement les résidents afin d’écouter leurs retours. »
Melynda Love s’est installée à Saint-Norbert récemment, en 2022. Et la forêt de Lemay a joué un rôle important dans sa décision d’acheter une maison dans ce quartier. « C’est un bel endroit où l’on a à la fois les avantages de la ville, mais aussi ceux de la campagne. »
Elle précise que c’est aussi un quartier que connaissaient bien son père et son grand-père.
Après une rencontre communautaire pour discuter du projet, qui s’est tenu le vendredi 3 novembre et à laquelle John Wintrup a participé, Melynda Love confie qu’elle n’a toujours « aucune idée de ce qu’ils (Tochal Developments) pré-voient faire ». Elle fait état d’une réunion sous le signe de la frustration, qui n’a pas vraiment donné lieu à de vrais échanges.
Interrogé à ce sujet, John Wintrup a expliqué dans un courriel adressé à La Liberté : « L’équipe Tochal souhaite privilégier un processus de planification complet, coopératif, axé sur le consensus, afin de trouver un équilibre dans le développement des terres. Celui-ci pourrait comprendre un logement abordable et inclusif entouré de transports en commun fréquents, des espaces boisés accessibles au public et des lieux de guérison autochtone. »
Crainte de la destruction
Il précise également que lors de la rencontre du 3 novembre, les résidents ont, de façon intelligible, déclaré leur souhait de voir les terres rester « telles quelles. Il y a eu peu d’intérêt exprimé par les résidents lors de la réunion de la semaine dernière pour essayer de discuter d’un équilibre ».
Cependant, John Wintrup n’a donné aucune précision quant à la taille du projet et le nombre de logements que ce dernier proposera.
Mais il indique que le groupe Tochal se tient prêt à avancer sur le projet en 2024, « avec ou sans consensus ».
La crainte principale des résidents reste la destruction de la forêt de Lemay. « De savoir que mon grand-père et mon père ont marché dans cette forêt, c’est triste », indique Melynda Love, qui admet tout de même que « si les choses doivent changer, autant que nous ayons notre mot à dire ».
Mais si Melynda Love est encline à ouvrir le dialogue et travailler de concert pour s’assurer d’un développement qui puisse satisfaire le plus grand nombre de personnes, certains résidents sont déterminés à empêcher la destruction de la forêt. En veut pour preuve la mise en ligne d’une pétition qui a rassemblé, à date, 2316 signatures.
« Le système d’égout dans Saint-Norbert a toujours été un problème. Saint-Norbert a la plus basse élévation de toutes les zones de Winnipeg. Le système n’a pas été conçu pour accueillir la densité de population que le projet du groupe Tochal laisse entrevoir. »
Markus Chambers
Des limites au développement?
Dana Derkson est la présidente du conseil d’administration du Centre communautaire de Saint-Norbert. Elle souligne que les résidents du quartier « ne sont pas opposés à la construction de logements », car ils sont bien conscients de la crise qui existe, mais deux choses expliquent les réticences. D’abord, « c’est qu’ils souhaitent construire dans la forêt de Lemay ». Et finalement, c’est le manque de clarté vis-à-vis la nature du projet. Par exemple, la présidente du CA redoute la construction d’une tour d’habitation. « On ne veut pas doubler la taille de Saint-Norbert », dit-elle.
La nature, ainsi que la taille de la construction, dépendent en réalité du type de zonage du terrain. La parcelle que possède le groupe Tochal est classée RR5, soit « Rural Residential 5 ». Cela signifie que le propriétaire a parfaitement le droit de faire construire de larges ensembles résidentiels, mais aussi d’en faire une utilisation agricole limitée.
Selon Dana Derkson, dont la famille habite à Saint-Norbert depuis 50 ans, si cela devait arriver, des routes d’accès devront être construites aussi, et cela changera tout le visage du quartier. De plus, elle pointe du doigt un système d’égout et un réseau électrique « proches de leurs limites ».
Markus Chambers le confirme : « Le système d’égout dans Saint-Norbert a toujours été un problème. Saint-Norbert a la plus basse élévation de toutes les zones de Winnipeg. Le système n’a pas été conçu pour accueillir la densité de population que le projet du groupe Tochal laisse entrevoir. »
Terrain à risque d’inondation
En effet, le réseau d’assainissement de Saint-Norbert, toujours selon le conseiller, ne fait pas partie du système combiné de la ville. « Les tuyaux dans le sol sont moins larges. La capacité du système d’égout ralentit en réalité le développement du quartier à plusieurs niveaux. »
Pour ce qui est du réseau électrique, si le projet du groupe Tochal venait à aboutir, « il devra être amélioré ». De plus, le conseiller fait remarquer que le terrain concerné est un terrain à risque d’inondation.
Pour le conseiller Mathieu Allard, ces limites posées par le réseau des eaux usées peuvent avoir un impact direct dans l’avancée du projet de développement. « Avant qu’un promoteur ne se voie attribuer un permis de construire, le service des eaux et des déchets doit approuver le permis par rapport à la capacité de gestion des eaux de la zone. Il existe des cas dans lesquels le rezonage a été accordé, mais où le service des eaux a finalement dit non. »
À l’heure de passer sous presse, John Wintrup confirme « qu’aucune demande de permis n’a été déposée directement auprès du service des eaux et des déchets ».
Préservation des arbres
En revanche, un permis de feux en plein air a été attribué au groupe Tochal par le service d’incendie et de soins paramédicaux de Winnipeg. « C’est une demande qui a été faite au nom des intervenants autochtones sur les terres », précise John Wintrup, qui ajoute qu’une autre demande de permis pour ériger des clôtures sur le terrain a été déposée auprès du service de l’urbanisme, des biens et de l’aménagement.
Le conseiller Allard est quand même préoccupé par l’absence de politique de la Ville pour la préservation des arbres sur les terrains privés : Si le groupe ne possède pas encore de permis de construire, il n’en est pas moins propriétaire du terrain. « En tant que propriétaire, il est en droit à la fois d’en restreindre l’accès et, s’il le souhaite, de couper les arbres sur sa propriété ».
Cependant, John Wintrup a fait part de la volonté du groupe Tochal de conserver des espaces boisés.
Quid du patrimoine?
Le quartier de Saint-Norbert tient aussi un rôle primordial dans l’histoire du Manitoba, en particulier de sa francophonie. À propos du quartier, l’historien Philippe Mailhot dit la chose suivante : « À travers Saint-Norbert, on peut quasiment raconter l’histoire des com-munautés francophones au Manitoba. »
En effet, les vestiges du temps ne manquent pas de ce côté de la rivière Rouge : les ruines du monastère trappiste, l’asile Ritchot, ou encore la maison Lemay. Et Philippe Mailhot rappelle que c’est à Saint-Norbert que la Résistance de la Rivière-Rouge a vu le jour, et ce, « avant même que Louis Riel ne soit impliqué ».
En adéquation avec l’importance historique du quartier, une demande a été déposée auprès du gouvernement fédéral pour que le statut de site patrimonial soit attribué au quartier. Mais Dana Derkson craint que la construction d’une tour d’habitation vienne empêcher l’attribution de ce statut.
Pour Normand Gousseau, directeur général d’Entreprises Riel, cela ne devrait pas poser de problème. « Le statut de site patrimonial n’empêche pas le développement. Le terrain n’est pas identifié comme un site patrimonial, alors je ne pense pas qu’il soit pris en compte dans les critères d’attribution. »
De son côté, Philippe Mailhot, même s’il n’est pas certain lui non plus des critères, corrobore : « La forêt faisait partie du grand lot 85 de Joseph Lemay. Il y avait une petite scierie de bois dans ce coin-là, mais il n’existe pas d’histoire selon laquelle Louis Riel se serait caché dans ces bois-là, par exemple. Mais j’imagine que les bois ont servi à la chasse, à la coupe du bois, et peut-être au parcage pour les animaux. »
Histoire métisse et francophone
La forêt a donc été le témoin de la vie des Métis et des résidents des environs, mais n’a pas joué de rôle symbolique particulier.
Devenir site patrimonial est un enjeu important, notamment pour le quartier en lui-même, comme l’explique Normand Gousseau : « Ce statut serait un atout, il permettrait de protéger Saint-Norbert, ce qui fait Saint-Norbert. On peut aussi parler de tourisme et de développement économique ».
Mais il serait aussi important pour la reconnaissance de l’histoire métisse et francophone de la Province. « L’obtention d’un tel statut participe à mieux faire connaitre le quartier et donc, son histoire », conclut Normand Gousseau.
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