Ce sont notamment les révélations autour de l’identité de Buffy Sainte-Marie qui ont accélérer cette demande.

 Katherine Strongwind est une survivante de la rafle des années 1960. De 1951, lorsque la Loi sur les Indiens est modifiée pour donner toute autorité aux Provinces sur le bien-être des enfants autochtones, jusqu’à la fin des années 1980, des milliers d’enfants autochtones ont été arrachés, raflés de leur famille par les services de protection de l’enfance pour être “adoptés” par des familles blanches. Le ministère des Relations Couronne-Autochtones estimait à 11 132 enfants enlevés entre 1960 et 1990. Un chiffre sous-estimé selon plusieurs communautés, qui pensent que le chiffre se situerait plutôt autour de 20 000. 

À ce jour, aucune enquête n’a été ouverte par le gouvernement fédéral pour entendre les survivants de cette rafle. En 2017, le Fédéral a annoncé un règlement de 800 millions $ pour les survivants. 

Pourtant, rien n’enlève la douleur ressentie par ces enfants qui ont grandi loin de leur communauté, perdant ainsi le lien avec leurs racines. Récemment, un documentaire de CBC News révélait que la célèbre chanteuse, maintes fois récompensée Buffy Sainte-Marie, aurait menti sur ses origines autochtones. Elle qui a longtemps clamé être une survivante de cette rafle aurait finalement menti pendant plusieurs années. De son côté, Buffy Sainte-Marie clame qu’elle est Autochtone et que son certificat de naissance a été falsifié lors de son “adoption”. 

Elle s’est d’ailleurs faite porte-parole pour cette période de l’histoire. 

Katherine Strongwind, directrice générale de 60s Scoop Legacy of Canada, a vécu la révélation de CBC News comme un coup de poignard. Elle reproche à CBC News de ne pas avoir fait parler des experts sur les questions entourant l’adoption des enfants autochtones et des papiers qui s’y rattachent. 

« Les travailleurs sociaux ont souvent changé nos identités, le gouvernement du Canada a complètement effacé nos identités pour rendre difficile la recherche de nos familles biologiques par nos parents adoptifs et par les personnes à qui nous demanderions de chercher nos familles biologiques. »

Katherine Strongwind

Enquête nationale

C’est pour cette raison qu’elle presse le gouvernement fédéral d’organiser une enquête nationale pour les survivants de la rafle des années 1960. « Cette histoire, c’est exactement pourquoi nous demandons une enquête. Beaucoup de personnes autochtones adoptées diront que leur certificat de naissance a été falsifié et c’est la vérité. Mais une enquête permettrait de découvrir certaines des choses qui ont été faites pour nous faire adopter par des familles blanches. »

Pour Allyson Stevenson, professeure adjointe à l’Université de Regina, c’est une période de l’histoire canadienne très complexe à saisir. « On considère que le programme a commencé dans les années 1950, parce qu’il y a eu un changement dans la législation fédérale, la Loi sur les Indiens, et que les lois provinciales sont devenues applicables dans les réserves. Ce qui n’était pas forcément le cas précédemment. 

« Il n’y a pas eu le même niveau d’enquête sur les processus réels par lesquels les enfants ont été intégrés dans ce système d’adoption. Alors, de nombreux Canadiens ne comprennent toujours pas comment les enfants autochtones sont devenus surreprésentés dans les systèmes de protection de l’enfance, puis adoptés au-delà des frontières. Je pense donc qu’une enquête serait une bonne première étape. Cependant, je pense qu’il y aurait beaucoup de résistance parce que de nombreuses institutions de premier plan ont été impliquées dans la mise en place et le déploiement de ce système. »

Allyson Stevenson
Allyson Stevenson est professeure adjointe à l’Université de Regina et autrice du livre Intimate Integration, A History of the Sixties Scoop and the Colonization of Indigenous Kinship. (photo : Gracieuseté)

Certificat de naissance

Katherine Strongwind a, de son côté, toujours su qu’elle avait été adoptée. Mais son certificat de naissance ne laisse que peu de doutes. « Sur mon certificat de naissance, il y a la date de délivrance, et c’est un an après le jour de ma naissance. On peut se questionner sur la raison de ce grand écart. J’ai toujours su que j’avais été adoptée. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres. Parce qu’à l’époque, c’était honteux d’être Autochtone. »

Pour obtenir un certificat de naissance du Bureau d’état civil, il est nécessaire d’avoir une déclaration de naissance vivante émise à l’hôpital. Le manque de ce document, de photos de bébé ou encore de dossier médical pédiatrique peuvent être des indices quant au fait qu’une personne a été adoptée durant cette période. Cependant, certains certificats de naissance ont été falsifiés pour effacer les identités autochtones, comme le détaille Katherine Strongwind. « Les travailleurs sociaux ont souvent changé nos identités, le gouvernement du Canada a complètement effacé nos identités pour rendre difficile la recherche de nos familles biologiques, par nos parents adoptifs et par les personnes à qui nous demanderions de chercher nos familles biologiques. 

« En ce qui me concerne, on m’a donné un nom complètement différent. Ma date de naissance est toujours la même sur mon certificat de naissance, mais elle correspond à la date d’adoption par mes parents adoptifs et non à ma date de naissance par mes parents biologiques. Ce n’est donc qu’en 2015, lorsque j’ai reçu ma déclaration de naissance vivante, que j’ai obtenu le nom de ma mère biologique. »

Falsification 

Allyson Stevenson, qui est aussi l’autrice du livre Intimate Integration, A History of the Sixties Scoop and the Colonization of Indigenous Kinship (1), précise cette notion de falsification. « Les lois provinciales sur l’adoption, puis les politiques, faisaient en sorte que ces adoptions deviennent légales. C’est-à-dire que l’identité des enfants changeait légalement par rapport à leur identité antérieure. Ils étaient identifiés comme leurs parents d’adoption. Les parents adoptifs devenaient donc les parents naturels. 

« Comme tout était fait de manière légale, c’est donc là qu’il devient vraiment compliqué de s’appuyer exclusivement sur les actes de naissance pour comprendre les origines des personnes. Ils ne peuvent pas être utilisés comme déterminants exclusifs des individus, de la filiation et de l’appartenance ethnique, car les noms ont été changés dans de nombreux cas d’adoption légale et les documents ont été modifiés. »

Il est donc clair pour la professeure que les choses sont plus compliquées que simplement noir et blanc. « Je parle surtout du cas de la Saskatchewan parce que je connais mieux cette province en raison de mes recherches. Il faut souligner que de nombreux efforts ont été déployés dans le cadre de la législation sur la protection de la vie privée, et souvent l’adoption et les documents d’adoption sont protégés par une couche supplémentaire de protection de la vie privée, spécifique aux dossiers d’adoption. »

Sur les traces de son passé

Allyson Stevenson tient également à préciser : « Ce qui est valable pour l’histoire d’un survivant de la rafle des années 1960 ne l’est pas forcément pour l’autre histoire d’un autre. C’est du cas par cas. 

« Certains documents sont donc entrés dans un processus légal. D’autres ont tout simplement été falsifiés et ne sont pas dans les archives. Ce sont les individus et les familles qui détiennent certains de ces documents qui pourraient assurer le suivi. Mais je tiens à dire que le gouvernement fédéral tenait un registre de tous les enfants autochtones inscrits qui naissaient. C’est donc là que certaines familles peuvent essayer de trouver des preuves de l’existence de ces enfants qui ont quitté leur famille d’accueil sans le consentement des membres de la famille. Il y a donc des moyens de faire un suivi si l’on a l’impression que des documents ont été falsifiés, mais c’est très compliqué et au cas par cas. »

Les adoptions étaient donc documentées par les gouvernements, Katherine Strongwind en a fait l’expérience. « J’ai eu ma fille quand j’avais 17 ans. J’ai donc été automatiquement repérée par les services de l’enfance et de la famille parce que j’avais déjà un dossier d’adoption, un dossier de protection de l’enfance. À ce moment-là, j’ai reçu un rapport sur les informations non identifiables. 

« Et c’était complètement différent de ce que mes parents m’avaient dit. Je suis certaine que l’assistante sociale leur a raconté une fausse histoire pour qu’ils ne sachent pas qui était ma mère. » 

Des motifs souvent faux

Cette pratique est en effet assez commune. Les prétextes pour retirer les enfants de leur famille étaient multiples, fallacieux et déshumanisants. Katherine Strongwind précise : « Nos mères étaient souvent contraintes ou forcées de faire adopter leurs enfants. Parfois, après la naissance des enfants, les travailleurs sociaux allaient dans les réserves ou dans les foyers et prenaient tous les enfantsd’une famille. Ils utilisaient n’importe quelle excuse pour prendre les enfants, en disant qu’il n’y avait pas assez de nourriture dans la maison, pas assez de lits, ce genre de choses. Des groupes religieux encourageaient aussi les femmes enceintes à confier leurs enfants à des Blancs. » 

Allyson Stevenson reconnaît qu’aujourd’hui la parole s’est libérée pour entendre ces histoires. « Il y a de plus en plus de cas de femmes autochtones qui disent qu’on leur a dit que leurs enfants étaient morts à la naissance ou d’autres cas où il semble qu’il y ait eu des irrégularités en ce qui concerne les enfants et la façon dont ils ont pu ou non être adoptés par des familles adoptives légales. »

Éveiller davantage les consciences

Katherine Strongwind espère que cette histoire permettra d’éveiller davantage les consciences sur la rafle des années 1960. « Il serait nécessaire de mettre sur pied un programme de guérison où les personnes qui ont vécu l’adoption peuvent s’adresser à des personnes formées à la protection de l’enfance et au programme de la rafle des années 1960, parce qu’il est différent des pensionnats. Il y a des différences très importantes. Nous avons donc travaillé, et nous continuons à le faire, pour créer ce type de programme de guérison. »

Un programme dont aurait bien voulu bénéficier Katherine Strongwind. En effet, en retrouvant sa famille biologique, les choses ne se sont pas bien passées pour elle. Elle n’a pas eu la fin heureuse qu’elle espérait inconsciemment. Une souffrance supplémentaire pour elle. Elle a donc décidé d’arrêter de vouloir en savoir davantage sur son histoire de naissance pour sa propre santé mentale, en comprenant que cela signifiait qu’elle ne saurait jamais réellement qui elle est totalement. 

(1) Le livre est disponible aux Éditions de l’Université de Toronto. 

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