Komi Kuessan est arrivé du Togo, pour le Manitoba, en 2014. Déjà dix ans. En plein mois de janvier, comme pour beaucoup, c’est l’hiver et la température, le plus gros choc.
Accueilli par l’Université de Saint-Boniface (USB), là où il venait faire ses études, il rencontre vite Justin Légaré, par le biais du sport. En effet, Justin était, à l’époque, l’entraîneur des équipes de soccer des Rouges, à l’USB.
« C’est l’une des personnes qui m’a aidé à sortir de ma zone. Quand tu arrives comme nouvel arrivant, souvent, tu veux graviter autour de ta communauté d’origine. C’est le seul qui me tendait la main, qui m’a poussé à aller voir d’autres choses, au lieu de rester dans mon cocon. »
Quand Justin se replonge dans leur rencontre, il se souvient à quel point « c’était facile. Dès le début. Il y a toujours eu beaucoup de respect entre nous. Et c’était aussi facile, parce que Komi n’était pas gêné avec moi. Il a très vite eu confiance en moi. »
Finalement, une amitié naît. Toujours par le biais du sport. « L’été 2015, on courait tous les jours. On a passé l’été à s’entraîner ensemble. Quand on courait, c’était minimum cinq kilomètres, plus un match à la fin. Notre amitié a été forgée dans la douleur (rires). Ça nous a permis de passer beaucoup de temps ensemble.
Sortir de l’isolement
« Tu sais, sur un terrain, on oublie que je ne parle pas bien anglais ou je ne parle pas bien français. Le soccer a toujours les mêmes règles, peu importe le pays. Il y a des amitiés de vestiaires, comme je les appelle. Après ou avant le match, on est tous les mêmes personnes. On est là, on a un objectif commun qui est de gagner. Et puis parfois, après les matchs, on sort, on fait des activités ensemble. Ça permet de sortir de notre isolement personnel. »
L’isolement, quand on est nouvel arrivant, c’est quelque chose que Justin a pu lui-même observer. Dans sa carrière, il a vu passer beaucoup d’athlètes, dont des étudiants internationaux. « En général, leur communauté de support n’est pas là. C’est- à-dire leurs proches. Alors, c’est difficile pour eux de trouver des opportunités de s’exprimer, s’ils voulaient. En tant qu’entraineur, mon rôle est d’aider mes athlètes à atteindre le meilleur d’eux-mêmes. En tant qu’athlète, mais en tant que personne aussi. Ça vient avec du support. »
La santé mentale : un enjeu dans l’immigration
Komi ne craint pas d’aborder ce sujet qui, avant, aurait pu paraître un peu plus tabou : la santé mentale pour les nouveaux arrivants. Surtout dans les premiers temps. « Quand tu viens d’ailleurs et que tu arrives ici, au départ, le choc peut être très violent. Ça prend quelqu’un qui te dit : Oui, je sais que tu es un nouvel arrivant, tu as des réticences pour telle ou telle chose, mais il y a un moyen de le faire de manière sécuritaire.
« Et des gens comme Justin, ça te donne envie de te lever le matin. Il y a des gens qui ne remplacent pas la famille, mais, quelque part, on se crée des familles nous-mêmes. »
Depuis, Justin est comme un repère pour Komi. Il le dit carrément, c’est même un frère. Son premier Noël, autre qu’avec des gens de sa communauté, c’était avec la mère de Justin Légaré. Pour Justin, c’est un souvenir mémorable. « Je n’oublierai jamais le premier Noël qu’il a passé avec nous. Quand ma mère a amené la dinde… Komi n’avait jamais vu ça, une dinde au complet! C’était tellement drôle. C’était une belle soirée. »
Une étape cruciale
Quand Komi a acheté sa première voiture, Justin était là aussi. « Il est là dans beaucoup d’étapes de ma vie. Il est la personne à qui je vais demander conseil. » Pour Komi, c’est aussi important de préciser à quel point ce genre d’accompagnement, surtout dans l’étape d’intégration, c’est crucial. « C’est quoi la bonne manière de faire? Comment fonctionne le système? Quand je suis arrivé, l’Accueil francophone n’offrait pas de soutien aux étudiants internationaux. Il fallait se débrouiller. Comment fonctionne une carte de crédit, par exemple. Moi, je n’ai jamais eu de carte de crédit avant de venir ici. La ponctualité, aussi. Ce sont des choses très simples, mais ça prend des amis qui te l’expliquent en douceur. C’est important. »
Pour Justin, pas d’explication particulière. Avec Komi, c’est une vraie amitié, alors c’est plutôt simple. « Quand j’aime bien quelque chose, j’adore le partager avec mes amis. Ça a toujours été comme ça dans ma vie. Alors, avec Komi, c’est tout naturel de lui suggérer des choses à faire. Et il est toujours partant! On s’est beaucoup partagé des choses de nos cultures, moi de la culture canadienne, et lui de la culture du Togo. Et puis notre amitié a juste grandi, grandi, grandi. »
Plusieurs passions communes
Komi et Justin continuent de partager des moments sportifs ensemble, jusqu’à aujourd’hui. Ils travaillent tous les deux avec Sport en français. Et ils se préparent tous les deux pour une course de 25 km, en mai prochain.
Ils se rejoignent aussi sur la passion de la bonne bouffe et de l’art de vivre. Komi a partagé des épices de son pays à Justin, qui ne peut plus s’en passer! Et les sorties resto, c’est tout aussi important. « Justin, c’est aussi quelqu’un qui prend des nouvelles. Et c’est super important. C’est familier, c’est simple. C’est vraiment beau de pouvoir être soi-même avec l’autre, sans avoir peur. »
Après dix ans d’amitié, Justin se rend compte qu’il a vu Komi grandir, quelque part. Il l’a vu devenir l’homme qu’il est aujourd’hui, avec une famille. « Dans le monde, tu rencontres des fois des gens très sympathiques et ouverts. C’est gens-là, faut que tu les gardes. »
Komi Kuessan s’est fait une promesse : un jour, emmener Justin au Togo. « Parfois, on rencontre des gens qui nous donnent, sans penser qu’ils nous donnent. C’est le cas de Justin. Il n’est pas dans cette quête de lumière. Mais il donne tout. Ce genre de personne nous sauve de moments très difficiles, sans qu’ils s’en rendent compte. »
Retrouvez la playlist intégrale des balados Quand les portes s’ouvrent.