Par Antoine Cantin-Brault.

Elles le deviennent surtout quand on cesse de les répéter bêtement et qu’on s’y arrête consciemment. Une des pires est certainement celle-ci : « le temps c’est de l’argent ». Le temps le plus riche n’est assurément pas relié à l’argent. L’argent ne définit le temps que dans un monde qui a perdu le sens du temps et de l’histoire.

Une autre expression irritante : « il faut sortir des sentiers battus ». L’expression, en soi, n’a rien de bien terrible : elle invite simplement à penser de manière nouvelle, différente, pour développer la créativité. Il s’agit de « sortir de la boîte » (think outside the box), de sortir de cette boîte qui nous serait devenue un carcan, une prison. 

On dira que toutes les nouvelles idées viennent en sortant des sentiers battus, mais ces nouvelles idées sont-elles les plus profondes? Les idées les plus profondes et pérennes nous viennent-elles en sortant de la boîte? Encore faut-il comprendre ce qu’est cette « boîte » ici.

À quoi ressemble une pensée sortie des sentiers battus? C’est une pensée qui, à première vue, peut sembler libre, mais elle n’est libre que parce qu’elle est détachée de tout, elle pense à vide, elle n’a plus d’ancrage. Elle devient artificiellement libre et projette sur le monde ses chimères. Elle cherche à mettre le monde à sa mesure, elle ne veut pas de la mesure du monde.

Les sentiers restent pourtant bien présents, des sentiers mesurés selon le chemin à parcourir, des sentiers qui, pour plusieurs d’entre eux, ont prouvé leur valeur en dirigeant quelque part, des sentiers remplis de sagesse. Ces sentiers sont de véritables méthodes, au sens où étymologiquement le mot « metaodos » en grec signifie « suivre une voie ». La voie se dessine en épousant ce vers quoi on veut aller, en épousant la forme de la chose que l’on veut penser. La pensée pense mieux quand elle se conforme à la « boîte » qui s’offre à elle. 

Par exemple, on installe dans les salles de classe une nouvelle technologie, mais cette technologie, certes à l’avant-garde au point de vue technologique, n’épouse pas du tout les besoins des personnes enseignantes, ni des élèves. On est certes sorti de la boîte, mais on ne retrouve plus le chemin menant à de véritables résultats pédagogiques. 

Autre exemple : Monsanto a introduit dès 1973 le Roundup à base de glyphosate pour rendre les cultures résistantes aux insectes, mais cela avec des conséquences extrêmement néfastes pour l’écosystème et les humains. La « boîte » écologique a été dépassée, sans penser aux dangers potentiels.

Les choses ont leur vérité et leur sens, et les choses doivent être approchées d’une certaine façon pour livrer cette vérité et ce sens. Les choses se révèleront à nous en les approchant comme elles le demandent, et non en projetant sur elles violemment nos abstractions. De nouveaux sentiers sont certes souhaitables, s’ils sont la continuation, et non la pure négation, des sentiers battus.