Senteur et odeur
Ces deux mots désignent évidemment une émanation percep-tible par l’odorat. Cependant, à peu près partout dans la francophonie, la « senteur » désigne essentiellement une odeur agréable, une « bonne » odeur. C’est donc un synonyme de « parfum ». Le mot appartient au registre littéraire et s’emploie souvent au pluriel. Ainsi, dans une lettre de 1854 adressée à sa chère amie Louise Colet, Gustave Flaubert évoque son envie de parcourir les routes d’Espagne « toutes pleines de soleil et de senteurs marines ». Plus récemment, un article du quotidien français Le Monde, publié en mai 2023, était titré : « La rose, divine senteur ».
Le Canada est le seul espace francophone (avec peut-être la Louisiane) dans lequel le mot « senteur » s’emploie couramment dans son sens d’origine : une odeur forte qui peut être aussi bien désagréable qu’agréable. Marc Messier, porte-parole du Service d’incendie d’Ottawa, déclarait ainsi à Radio-Canada en mai 2010 : « On a reçu environ 180 appels d’urgence pour la senteur de fumée ». On imagine bien que la senteur en question n’était pas plaisante.
Selon le linguiste français Alain Rey, le mot « senteur » serait issu du vocabulaire de la chasse à courre à la fin du Moyen Âge. Il est amusant de noter que si cette origine cynégétique n’est pratiquement plus visible en français, elle demeure bien vivante dans la langue anglaise. En effet, une des significations du mot scent, emprunté au français « sentir », est la trace visible ou l’odeur laissée par un animal sur son passage. En français moderne, on parle de « piste » (trace visible et odeur) ou de « fumet » (odeur seulement).
Moustique et maringouin
Les deux mots désignent exactement la même chose : ce petit insecte piqueur dont le Manitoba a le privilège d’abriter une cinquantaine d’espèces. La différence entre les deux mots est à la fois étymologique et régionale. « Moustique » est en quelque sorte le terme « colonial » : il est emprunté à l’espagnol mosquito qui désigne précisément le moustique et est un diminutif de mosca (« mouche »). L’inversion des lettres dans la dernière syllabe (moustique plutôt que mousquite) a peut-être été influencée par le mot « tique ». Et de fait, on pourrait très bien décrire cet insecte comme une monstrueuse « mouche-tique »!
Contrairement à « moustique », le terme « maringouin » est authentiquement américain. Les marins français l’ont emprunté au 16e siècle à la langue tupi-guarani parlée par des peuples autochtones du Brésil. Le mot s’est étendu géographiquement au rythme de l’expansion coloniale française. Il est toujours en usage dans tout le Canada, en Louisiane, dans les Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique notamment) et à l’île de la Réunion.
En résumé, « moustique » appartient au français « standard » (ou « transnational ») – c’est-à-dire le français commun à toute la francophonie –, alors que « maringouin » est un régionalisme propre à l’Amérique, aux Antilles et à la Réunion.
Fève et haricot
Sur le plan strictement botanique, la fève et le haricot sont deux légumes bien distincts. La fève est originaire du Moyen-Orient et consommée dans cette région et en Europe depuis des milliers d’années. On la cultive surtout pour ses graines ovales et plates contenues dans les « gousses » (le fruit de la plante). La « gourgane » (ou « fève des marais ») bien connue au Québec est une variété américaine de fèves.
Quant au haricot, il est originaire d’Amérique centrale et n’a été introduit en Europe qu’après le premier voyage de Christophe Colomb en Amérique (1492). On le cultive pour ses gousses allongées vertes, jaunes ou violettes (c’est une des vedettes de nos jardins!) ainsi que pour ses graines également de diverses couleurs et que l’on fait sécher (d’où leur nom générique de « haricots secs »).
À peu près partout dans la francophonie, on fait nettement la distinction linguistique entre la fève et le haricot. Sauf au Canada où on utilise couramment le mot « fève » pour désigner… des haricots (y compris les fameuses « fèves » au lard)! La raison de ce double sens est historique : dans certaines régions de France, on avait coutume d’employer le mot « fève » pour désigner indistinctement les deux plantes, sans doute parce qu’elles se ressemblent. Cet usage a pratiquement disparu en Europe, mais il perdure comme régionalisme au Canada et probablement aussi chez les Franco-Américains.