C’est la conviction exprimée par l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes, Kimberly Murray, dans son rapport d’étape. Par conséquent, le document met en évidence le besoin de lutter contre le négationnisme. 

Dans un rapport de 256 pages intitulé Sites de vérité, sites de conscience, l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes s’efforce de prolonger le travail mené par la Commission de Vérité et de Réconciliation. Kimberly Murray contextualise son travail : 

« Ce rapport est un complément au volume 4 du rapport final de la Commission. Le volume 4 traite des enfants disparus et des sépultures non marquées. Je me suis donc appuyée sur les travaux effectués par les Commissaires, il y a presque 10 ans maintenant. »

Pour rappel, de 2010 à 2015, Kimberly Murray a été la directrice générale de la Commission de Vérité et de Réconciliation. Elle vise tout spécialement à consolider le travail déjà accompli en ouvrant une nouvelle perspective dans son rapport d’étape. 

« Je voulais montrer que les enfants n’étaient pas seulement emmenés dans des pensionnats autochtones. Ils ont été emmenés, puis transférés dans d’autres institutions. Nous savons que plusieurs enfants sont morts dans les pensionnats. Mais nous savons beaucoup moins que certains ont été transférés dans d’autres institutions où ils sont morts et où ils ont été enterrés. »

Chercher au-delà des pensionnats

Pour Kimberly Murray, il était essentiel de partager cette information. Parce qu’à l’heure actuelle, le Fédéral et les Provinces soutiennent uniquement les recherches des enfants disparus sur les sites d’anciens pensionnats autochtones. 

« En quelque sorte les gouvernements coupent la possibilité de suivre la vérité là où elle pourrait mener les gens. »

Les chapitres deux et trois de son rapport se concentrent principalement sur les autres institutions qui gravitaient autour des pensionnats autochtones. À savoir les asiles connus sous le nom de Good Shepherd Homes, les hôpitaux pour Autochtones, les sanatoriums pour tuberculeux, les foyers pour mères célibataires, et les hôpitaux pour enfants handicapés. 

Kimberly Murray rappelle d’ailleurs que « les politiques en vigueur dans les pensionnats s’appliquaient aussi à ces institutions-là. Le gouvernement du Canada ne payait pas le retour de l’enfant chez lui. Souvent, les fonctionnaires ou les administrateurs du pensionnat ne disaient pas non plus à la famille que l’enfant était mort, ni où il avait été enterré. 

« Nous voyons donc beaucoup d’enfants enterrés dans des cimetières partout au pays, dans des fosses communes, dans des tombes non marquées dont les familles n’avaient aucune idée qu’ils étaient là, à des centaines de kilomètres de leur maison. »

L’exemple de Marlene Nepinak

Afin de rendre plus concret son propos, Kimberly Murray soumet l’exemple d’une enfant manitobaine : Marlene Nepinak, de la Première Nation de Pine Creek. Cette dernière est née avec une spina bifida, une malformation de la colonne vertébrale. 

Après qu’on lui a refusé des soins au Manitoba à cause de son identité autochtone, elle a été envoyée à Montréal dans une institution Cecil Butters, qui prenait soin d’enfants souffrant de graves déficiences cognitives. 

Dans le rapport de Kimberly Murray, on peut lire : « Marlene, qui avait été emmenée de leur domicile à l’institution Cecil Butters, souffrait de spina bifida mais n’était pas, comme le prétendait son dossier médical, atteinte de déficience cognitive. »

Son frère Reg Nepinak a témoigné à l’occasion d’une cérémonie à Montréal. « Lorsqu’elle est décédée… on a attendu quatre jours après son enterrement avant de nous laisser savoir qu’elle était décédée. On n’a jamais dit à papa et maman de quoi elle était morte. »

À l’âge de 13 ans, Marlene Nepinak a été enterrée dans une fosse commune avec d’autres enfants de l’institution Cecil Butters. 

« Les Canadiens commencent à en connaître davantage sur les pensionnats autochtones. Mais ils ont besoin de comprendre que nous avons affaire à un système complexe. Autrement dit, beaucoup d’institutions que j’ai mentionnées dans le rapport étaient gérées par les mêmes entités ecclésiastiques qui géraient les pensionnats autochtones. 

« Quand un enfant était retiré d’un pensionnat autochtone géré par l’Église catholique, il était envoyé dans un l’hôpital ou dans un foyer aussi géré par l’Église catholique. Les protestants fonctionnaient de façon similaire. »

Faire un rapport pour chaque institution

Kimberly Murray souligne que son rapport ne présente qu’un aperçu de certaines situations. « Pour pouvoir identifier tout ce qui s’est passé dans chacune des institutions, il faudrait presque que chaque institution fasse l’objet d’une recherche, afin de pouvoir produire un rapport sur l’institution en question. » 

Cette démarche nécessiterait un travail de recherche assez volumineux, puisqu’il existe une multitude de ressources pour étayer un dossier en particulier. 

« Si les gens lisent mon rapport, ils verront à la fin de chaque chapitre les documents utilisés et leur source. Ils se trouvent dans toutes sortes de centre d’archives disséminés à travers le pays, pas seulement à Bibliothèque et Archives Canada, pas seulement dans les archives des Églises. Mais aussi dans les archives provinciales, dans les archives universitaires. 

« C’est donc une autre raison pour laquelle j’ai voulu publier ce rapport d’étape : pour montrer à quel point il est complexe d’obtenir la vérité, parce qu’elle est éparpillée partout et que quelqu’un doit rassembler toutes les informations pertinentes. »

Cette complexité d’accéder à une vérité exhaustive a un effet négatif : elle amplifie le mouvement négationnisme partout au pays. 

« En toute honnêteté, il n’est pas facile de se frayer un chemin dans les archives et de consulter des documents. Il y a vraiment beaucoup d’obstacles qui empêchent les Canadiens d’accéder aux documents publics.

« Le résultat, c’est que le négationnisme est en hausse au Canada. Je l’ai constaté dans mon rapport de l’année dernière. Dans mon plus récent, j’ai fait le choix d’inclure des photos explicites pour que les gens puissent mieux réaliser les défis auxquels nous faisons face. »

Amendements au Code criminel

Dans son rapport de 2023, Kimberly Murray avait déjà réclamé des amendements au Code criminel pour inclure l’incitation à la haine contre les survivants des pensionnats et la diffusion de fausses informations sur les pensionnats autochtones. Ce dossier n’a pas avancé du côté fédéral. 

Elle compte donc bien renouveler ces recommandations dans son rapport final, prévu pour le mois d’octobre de cette année. « Je demanderai encore des amendements au Code criminel pour que l’incitation à la haine contre les survivants des pensionnats autochtones et la diffusion de fausses informations soient criminalisées. Toutefois il nous incombe aussi de renforcer l’éducation du public. »

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté