Cette usurpation d’identité a des conséquences non négligeables sur les Autochtones et leur droit à l’autodétermination.
Qu’il s’agisse d’Archibald Belaney, mieux connu sous son littéraire de Grey Owl, ou encore de la célèbre chanteuse Buffy Sainte-Marie, nombreux sont les exemples de personnes qui ont été dénoncées pour avoir revendiqué une identité autochtone sans preuve.
Récemment, l’avocate et ancienne juge à la Cour provinciale de la Saskatchewan, Mary Ellen Turpel-Lafond, qui avait été accusée d’usurpation d’identité autochtone, a affirmé que l’enquête du Barreau de la Colombie-Britannique à son sujet avait été abandonnée à la suite d’un test ADN montrant des marqueurs génétiques en lien avec des Autochtones. Cependant elle a refusé de dévoiler ce test ADN.
Pour Me Jean Teillet, avocate spécialisée dans les droits autochtones pour le cabinet Pape Salter Teillet en Colombie-Britannique, cette tendance est le symbole d’un colonialisme nouveau. « Je pense que ce mouvement des gens qui revendiquent une identité autochtone est une étape de plus dans le colonialisme.
« La fraude à l’identité autochtone est quelque chose de subtil, c’est-à-dire qu’au lieu de leur retirer, ces gens revendiquent une identité autochtone.
« C’est une sorte d’assimilation à l’envers. En affirmant que presque tout le monde est autochtone ou peut l’être, c’est une autre façon d’effacer les Autochtones. Si tous ceux qui ont un lien avec un ancêtre autochtone, aussi éloigné soit-il, peuvent prétendre être autochtones, alors nous sommes tous autochtones. Ils ont réussi cette assimilation d’une manière détournée. Mais l’objectif reste le même : éradiquer ce peuple différent en le transformant à nouveau, comme le font tous les colons. »
Un degré d’intention
Me Jean Teillet tient à préciser qu’elle est consciente qu’il existe un certain degré dans l’intention des personnes qui usurpent une identité autochtone. « Je ne dis pas que toutes les personnes comprennent intellectuellement et intentionnellement, ce qu’ils font. En revanche, certains en sont très conscients. Par exemple, au Québec, nous avons des transcriptions d’entretiens avec des personnes qui disent très ouvertement que c’est exactement ce qu’ils font et qu’ils savent ce qu’ils font et qu’ils savent pourquoi ils le font. »
L’arrière-petite-nièce de Louis Riel souligne que certaines personnes peuvent le faire pour bénéficier d’un emploi, d’une subvention. « C’est une cupidité assez basse. Mais dans le cadre de la grande question de la vérité et de la réconciliation, je vois cela comme un repoussoir. »
Une identité complexe
Il reste qu’une identité autochtone est complexe à définir, il s’agit de plus qu’un simple lien de sang. Et c’est la raison pour laquelle l’usurpation d’identité autochtone est problématique pour Me Jean Teillet. « Ces personnes semblent penser qu’il s’agit uniquement d’une sorte de lien biologique, même s’il est très éloigné. S’ils prétendent avoir une grand-mère autochtone dans les années 1600, cela suffit, pour eux, à dire qu’ils sont autochtones. Mais cela a pour effet d’éradiquer le droit des peuples autochtones à déterminer leurs propres membres.
« C’est un aspect fondamental de l’existence d’une culture ou d’une nation que de décider qui sont ses propres membres et ce qui fait d’eux des membres à part entière. Quelqu’un d’extérieur ne devrait donc pas être en mesure de le déterminer.
« Les peuples autochtones sont des nations dotées d’un gouvernement autonome. En fait, ce sont des entités politiques qui fonctionnent. Alors en disant que je peux être cri juste à cause d’un lien du sang, c’est une autre façon de saper l’existence des peuples autochtones en tant que nations et entités politiques. »
Et pour Me Jean Teillet, là réside le cœur du problème pour atteindre la vérité et la réconciliation. « Lorsque les gens usurpent des identités autochtones, tout ce qu’ils font, c’est riposter et saper la véritable réconciliation. Parce que la véritable réconciliation ne consiste pas à se réconcilier avec des individus, mais à se réconcilier avec l’ensemble de la société. Il s’agit de se réconcilier avec le fait que l’État canadien compte des nations politiques autochtones.
« La réconciliation qui doit se produire, c’est l’État avec ces nations préexistantes qui ont besoin qu’on leur crée un espace pour qu’elles puissent fonctionner en tant qu’entités politiques au sein de notre grand État. C’est l’action de réconciliation qui doit se produire.
« Ces individus qui prétendent être autochtones sont donc très préjudiciables au parcours qu’ont emprunté les gouvernements de ce pays dans la réconciliation. »
Un véritable gâchis
Elle pointe également la responsabilité des entités qui ont laissé faire sans prendre de mesure sur cette question. « Kim Tallbear, professeure à Faculté des études autochtones de Université de l’Alberta et titulaire de Chaire de recherche du Canada sur les peuples autochtones, la technoscience et la société, estime d’après des recherches qu’elle a menées que 25 % des universitaires sont des fraudeurs qui revendiquent frauduleusement une identité autochtone. Et je pense que le même pourcentage s’applique au gouvernement fédéral.
« Les universités et le gouvernement fédéral se réveillent à peine sur cet enjeu. Gina Wilson, la sous-ministre des Services aux Autochtones Canada, a publié une déclaration en juillet sur cette question. Ils sont donc en train de prendre la mesure du problème. Mais ce travail va prendre un certain temps et en attendant, ces usurpations d’identité causent du tort. »
Me Jean Teillet prend un exemple qu’elle connaît bien : celui de l’université. En effet, elle a travaillé sur un rapport pour l’Université de la Saskatchewan afin d’établir des politiques claires quant à l’identification des personnes comme autochtones. « L’université est confrontée au même problème, qui est double. Tout d’abord, l’embauche continue de personnel. L’arrivée de nouvelles personnes peut poser un vrai problème. Mais c’est le problème le plus simple, car il suffit maintenant de leur demander de présenter des preuves et de les vérifier, de sortir de ce système d’honneur qui veut que si vous dites que vous êtes autochtone tout le monde vous croit. C’est là que le monde universitaire a dépassé ce stade.
« Mais le deuxième problème, ce sont les personnes qu’ils ont déjà embauchées, qui gravissent les échelons du système. Au niveau du gouvernement, ces personnes élaborent des politiques, des lois et des réglementations sur la base d’un mensonge, parce qu’elles prétendent être autochtones, mais ne savent rien à ce sujet. Elles causent donc de réels dommages. C’est un vrai gâchis. »
Le problème des données
Là encore, Me Jean Teillet donne un exemple concret pour mesurer les conséquences de ce problème d’usurpation d’identité. « Par exemple, à Terre-Neuve, il y a beaucoup gens qui prétendent maintenant être des Mi’kmaq parce qu’ils ont une grand-mère autochtone quelque part dans leur ascendance d’il y a peut-être plus de 300 ans.
« La vérité c’est qu’il s’agit de Blancs de la classe moyenne. Mais dans les statistiques, ils s’identifient comme autochtones. Les données sont donc faussées dans tous les domaines, et les décisions politiques sont prises sur la base de ces données.
« Alors le gouvernement de Terre-Neuve et le gouvernement fédéral regardent ces données et se disent : Wow, regardez comme les peuples autochtones s’en sortent mieux à Terre-Neuve. Ils obtiennent tous leur diplôme d’études secondaires, comme tous les autres Canadiens. Ils ont tous un bon logement, ils ont tous un emploi et leur niveau économique est bon. Regardez ce que nous avons fait. Nous avons relevé tous les indicateurs pour les peuples autochtones.
« Il en résulte qu’ils cessent de donner de l’argent aux peuples autochtones pour le logement, parce qu’ils pensent que tout le monde a un bon logement. Ou bien ils cessent de donner de l’argent pour l’éducation ou la santé. Mais pendant ce temps, la réalité est que les vrais peuples autochtones de Terre-Neuve ne sont toujours pas aussi nombreux à obtenir leur diplôme d’études secondaires qu’ils devraient l’être. Ils sont toujours mal logés et leur état de santé reste médiocre. »
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