Des Traités, en passant par la Loi sur les Indiens et la Charte canadienne des droits et libertés, les peuples autochtones tentent de revendiquer leur droit à l’autonomie gouvernementale.
L’article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule clairement que « les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ». Ces droits incluent les revendications territoriales.
Pourtant, plusieurs nations autochtones doivent lutter contre le gouvernement fédéral afin de faire respecter cette partie de la Charte. Une lutte qui ne date pas d’hier. Peter Kulchyski, professeur au département d’études autochtones de l’Université du Manitoba, s’est intéressé dans plusieurs de ses recherches à la gouvernance autochtone. « Dans les 50 dernières années, il y a eu une certaine évolution politique dans la question de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. »
Dans un souci pédagogique, Peter Kulchyski met la table autour d’un sujet complexe. « Il convient de comprendre ce qui a mené à la situation d’aujourd’hui. Il faut alors remonter à 1763, à la Proclamation royale dans l’est du Canada, lorsque les relations ont commencé à s’organiser. Il était dit en substance que les Nations autochtones et tout ce qui se trouvait à l’Ouest étaient appelés une nation.
« À la fin du 18e siècle, il y avait donc une certaine idée de traiter les Peuples autochtones comme des entités nationales distinctes, ce qui était parfaitement logique puisque c’est ce qu’ils étaient.
« À mesure que la Proclamation royale était ignorée aux États-Unis et qu’on n’y prêtait pas beaucoup d’attention, surtout pas au Canada, les Premières Nations ont fini par être considérées comme des obstacles au progrès inévitable des Européens. »
Dans une vision d’extension et de protection contre les États-Unis, la Couronne britannique signe plusieurs Traités avec les Autochtones. « Au Canada, en raison de la Proclamation royale, les Traités étaient considérés comme un moyen d’amener les peuples autochtones à renoncer à leurs droits fonciers dans le cadre d’un processus équitable.
« C’est ainsi que les Traités ont toujours été perçus du côté du gouvernement, alors que du côté des peuples autochtones, il s’agissait d’accords entre Nations sur la façon de s’entendre. Bien sûr, ce que dit le Traité écrit par rapport à ce qui a été dit lors des négociations et tout le reste sont deux choses différentes. »
La Loi sur les Indiens
En 1867, le Canada est créé, à ce moment, il est décidé que les Autochtones ne seraient pas considérés comme des citoyens à part entière et subiraient donc un traitement différent. Très rapidement, en 1876, le gouvernement de l’époque adopte la Loi sur les Indiens qui a connu plusieurs évolutions à travers le temps notamment sur la question de gouvernance comme l’explique Peter Kulchyski. « Les dispositions relatives à la gouvernance sont apparues vers 1884. En effet, il y a eu la Loi sur l’avancement des Indiens. Cette loi visait essentiellement à transformer les réserves en municipalités. Aucune des réserves n’a accepté. Le gouvernement a alors demandé à ce qu’ils élisent leurs propres dirigeants. Plusieurs Nations ont donc mis au point le système du conseil de bande électoral, en partie parce que les Mohawks et les Haudenosaunees du sud de l’Ontario avaient un système de gouvernance traditionnel qui fonctionnait encore et qui était très solide.
« Bien sûr, ils étaient très radicaux et se battaient pour leurs droits territoriaux. Évidemment, le gouvernement ne voulait pas que cela se produise alors ils ont décidé que ces systèmes n’étaient pas démocratiques. Le gouvernement a donc décidé que les chefs et les conseils étaient élus tous les deux ans. Ce qui est complètement stupide. Il faut au moins un an pour se familiariser avec le poste et ensuite vous repartez en campagne pour vous faire élire. »
Pour rappel, à l’époque, seuls les hommes pouvaient voter, un système loin des traditions de plusieurs nations autochtones. De plus, l’idée du gouvernement était d’éloigner les chefs traditionnels pour mettre en place des dirigeants plus jeunes et plus malléables. Peter Kulchyski souligne que tout ceci a été un échec. « À 95 %, les personnes élisaient les chefs traditionnels. Là encore comme ces résultats ne plaisaient pas au gouvernement, ils ont ajouté dans la Loi sur les Indiens un droit de veto sur les candidats par les agents des Indiens de l’époque.
« Il y a, ainsi de suite, eu des modifications dans la Loi sur les Indiens sur le système électoral de 1884 à 1994. Sans cesse le gouvernement a tenté d’imposer aux Autochtones son mode de fonctionnement. »
Époque de renouveau
C’est seulement dans les années 1980 que l’accent est mis sur l’autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones. Peter Kulchyski pointe qu’« à cette époque, il y a un sursaut que le conseil de bande est imposé par un système qui ne favorise pas leur communauté. Que c’est absurde.
« D’ailleurs, à cette période, en 1982, il y a le rapport Penner sur l’autonomie gouvernementale des Autochtones. Des députés ont parcouru le pays pour étudier cette question et venir avec la conclusion que le droit à l’autonomie gouvernementale soit inscrit dans la constitution. Mais, à l’époque, Pierre Elliott Trudeau n’a pas accepté cette recommandation et l’écart entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral s’est accentué. »
Étant donné que le gouvernement fédéral n’arrivait pas à s’entendre sur négociations constitutionnelles entourant les droits autochtones, c’est la plus haute instance juridique du pays, le Cour suprême qui a tranché la question au cours de plusieurs procès dont l’affaire Calder en Colombie-Britannique. Et en 1982, l’article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît les droits ancestraux des peuples autochtones. Grâce à l’avocat Emmett Matthew Hall et à l’affaire Calder, les prémisses étaient jetées pour que le gouvernement fédéral négocie des traités modernes avec plusieurs nations autochtones.
Il existe différentes Premières Nations qui ont eu des accords différents avec le gouvernement fédéral.
Peter Kulchyski donne l’exemple de la Première Nation de Swan Lake au Manitoba. « Elle a adopté un modèle d’autonomie gouvernementale standard, très similaire à la Loi sur l’autonomie gouvernementale de la Nation shishalhe. Mais un peu plus fort en termes d’autorité qu’elle donne au conseil de bande et cela ne transforme pas leurs terres en titre de pleine propriété. Je dirais que c’est quelque part entre un modèle municipal et un modèle provincial, ce que recherchent beaucoup de Premières Nations.
« Un autre modèle intéressant est celui de la Première Nation de Cross Lake. En 1999, la Première Nation a affirmé son autonomie gouvernementale en adoptant une première loi écrite. Les dirigeants n’ont donc rencontré personne, sauf eux-mêmes et leurs propres avocats. Ils n’ont pas parlé au gouvernement fédéral, ils n’ont pas obtenu de permission, ils n’ont pas obtenu de financement.
« Ils se sont autofinancés et ont organisé des assemblées communautaires sur le terrain et ont rédigé une première loi. Ils ont donc maintenant un système de quatre conseils, un conseil exécutif, un conseil des anciens, un conseil des jeunes et un conseil des femmes. Il y a un chef de chacun de ces conseils et chacun a des responsabilités désignées. Et ils organisent des assemblées communautaires chaque année. »
Un pas vers la réconciliation
Ce sont donc deux exemples concrets au Manitoba qui ont emprunté deux voies différentes pour parvenir à cette autonomie gouvernementale. Mais Peter Kulchyski rappelle que le chemin est encore long pour que les gouvernements autochtones soient considérés pleinement comme des gouvernements par les différentes entités.
Pourtant, ces différences devraient être valorisées pour permettre de donner des clés de compréhension sur le monde. Peter Kulchyski insiste d’ailleurs sur ce point.
« La promesse de l’autonomie gouvernementale est de permettre aux gens de faire des choses, de réagir à des choses, en s’appuyant sur leurs valeurs ancestrales et leur culture et en ayant une base territoriale suffisante pour qu’ils puissent continuer à s’engager dans des pratiques.
« Si nous nous accaparons un territoire traditionnel, nous détruisons des pratiques, nous détruisons la culture autochtone et nous forçons les gens à devenir l’équivalent des blancs pauvres. Fondamentalement, c’est ce que toutes les politiques du gouvernement fédéral ont fait : traiter les peuples autochtones autant que possible, comme les plus pauvres des blancs sans droits spéciaux, sans culture spéciale. Et il reste du chemin à parcourir pour rattraper tous les torts du passé. »
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