Gardienne du savoir autochtone et Anishinabée, Diane Maytwayashing propose des tournées guidées pour mieux comprendre ces Pétroformes et leur symbolique.

La présence des peuples autochtones dans le Whiteshell remonte à des milliers d’années, et les Pétroformes en sont un témoignage. Ces assemblages rocheux datent de plusieurs centaines d’années.

« L’histoire de notre création commence ici, sur ce site de Bannock Point que les Anishinabés appellent Manidoo-Abi (Là où s’assoit l’esprit), raconte Diane Maytwayashing. Avant la colonisation, le peuple anishinabé formait la plus grande tribu sur le continent. »

Pourtant, pendant très longtemps, les Premières Nations n’ont pas eu accès à Bannock Point. « Dès 1876, les membres des Premières Nations ont été envoyés dans des réserves qu’ils ne pouvaient pas quitter sans autorisation », explique la Gardienne du savoir autochtone, qui a aussi reçu pour nom Yellow Sun Woman (femme du soleil jaune).

Or sans les Premières Nations pour les protéger, « les Pétroformes sont devenues vulnérables. Dans les années 1970, le Canada a même failli miner le site pour trouver du granite. » Le site garde encore des traces de cette destruction évitée de justesse.

Grande femme serpent. Les peuples autochtones ont beaucoup d’histoires autour de serpents géants qui auraient été aperçus dans l’eau, tel que le Manipogo du Lac Manitoba.(photos : Marta Guerrero)

Les savoirs de l’univers

Diane Maytwayashing  précise que ce « lieu sacré de prière et de cérémonies appartient à tous les peuples autochtones. Il ne doit pas être lié à un Traité en particulier ». En marchant sur le sentier, on remarque en effet une multitude de rubans de prière et d’offrandes de tabac et autres accrochés aux branches un peu partout.

« Les Autochtones croient que si nous vivons sur cette Terre, nous nous devons de respecter les lois de la Terre, et les Pétroformes nous donnent des instructions sur comment vivre en relation avec la Terre Mère. Elles nous enseignent les savoirs de l’univers, nous aident à comprendre comment tout est interconnecté et toute chose a un rôle. Elles nous rappellent qui nous sommes au sein de l’univers, notre place. Les Pétroformes sont comme l’université de la vie sur la Terre Mère. »

L’une des premières formations observées lors de la tournée est une tortue en trois dimensions. « La tortue représente le continent nord-américain, avec la queue pour l’Amérique centrale. Pour les Autochtones, notre continent s’appelle l’Île de la Tortue car nous croyons qu’il a la forme d’une tortue.

« C’est aussi notre gardienne du temps naturelle. Sur son dos, la tortue a 13 plaques comme les 13 lunes dans une année, et 28 petites plaquettes autour car il y a une pleine lune tous les 28 jours. »

La tortue, ici en trois dimensions, est la gardienne du temps, avec ses 13 grandes plaques sur le dos représentant les 13 lunes dans l’année, et ses 28 petites plaques pour les 28 jours qui font un cycle de lune.

Le site de Bannock Point contient plusieurs autres Pétroformes de tortue, incluant certaines qui représentent la constellation de la tortue dans le ciel. 

« Les constellations sont importantes dans les enseignements autochtones. Nous croyons par exemple que c’est la constellation de la Grande Ourse qui a ramené les saisons après l’ère glaciaire, que Viel homme hiver avait causée car les êtres vivants sur Terre ne se traitaient pas bien entre eux. C’est pourquoi on peut apercevoir l’étoile polaire en toute saison. »

L’eau, élément central

Un peu plus loin, un grand poisson se dessine sur le sol. Yellow Sun Woman explique que « les Premières Nations voient tout être vivant comme une extension de nous-mêmes. Nous sommes en relation avec eux. Par exemple, nous considérons que les arbres sont nos ancêtres.

« Et comme l’être humain est composé de deux-tiers d’eau, c’est avec l’eau et les êtres de l’eau que nous sommes le plus liés. L’eau fait partie de nous, comme nos bras et nos jambes. C’est aussi notre premier milieu de vie, dans le ventre de nos mères.

« C’est pourquoi nous honorons et respectons les lacs et rivières, ainsi que toutes les créatures qui vivent dans l’eau, par des offrandes, des cérémonies et des chants d’eau. »

L’importance de l’eau pour les Autochtones est d’ailleurs confirmée par la grande taille de la Pétroforme du poisson et son emplacement central.

Le poisson. Pour les Autochtones, l’eau et ses créatures doivent être honorées car elles sont une extension de nous-mêmes. Nous sommes eau à 60 % et l’eau est notre premier milieu de vie dans le ventre maternel.

Plus loin encore, la Gardienne du savoir autochtone attire le regard sur un motif de serpent, la Grande femme serpent. Les serpents sont eux aussi souvent représentés parmi les Pétroformes de Bannock Point. 

« Pour les Autochtones, Grand-mère serpent surveille et protège les eaux de la Terre et ses êtres vivants. C’est pourquoi nous avons beaucoup d’histoires de serpents géants qui auraient été aperçus dans l’eau, comme par exemple le Manipogo du lac Manitoba. De la côte Ouest aux Grands Lacs, nous avons de multiples histoires, chansons, cérémonies et enseignements en lien avec ces serpents. »

Petite femme serpent. Très présent parmi les Pétroformes, le serpent est celui qui protège les eaux de la Terre et ses être vivants.

Grand-mère Lune

Diane Maytwayashing emmène ensuite le groupe devant une Pétroforme de femme donnant naissance. « Les femmes se rassemblaient à cet endroit pour partager leur savoir et des histoires sur la féminité, la maternité, ainsi que sur notre relation avec Grand-mère Lune.

« La lune influence les eaux de la Terre, mais aussi celles de la femme. Tous les 28 jours, il y a une pleine lune. Et tous les 28 jours, la femme connaît ce que nos peuples appellent son temps de lune. En tant que femme, on nous enseigne à suivre les phases de la lune. »

Yellow Sun Woman partage également son savoir sur la Pétroforme de l’araignée. « Grand-mère araignée nous rappelle que tout est interdépendant, connecté dans la grande toile de la vie. Cours d’eau, plantes, arbres, animaux, êtres humains, planètes… Tout fonctionne ensemble. Il est donc important de respecter toute chose. Les êtres humains ont tendance à l’oublier. »

Grand-mère araignée nous rappelle que tout est interconnecté dans la grande toile de l’univers. Le respect de toute chose et tout être vivant est donc essentiel.

À proximité, une Pétroforme d’oiseau-tonnerre, « gardien de l’eau et du feu », rappelle que « parfois, pour purifier la Terre et lui permettre de grandir, le feu et l’eau sont nécessaires. Il y a par exemple des arbres dont les graines ont besoin d’être brûlées pour s’ouvrir en engendrer de nouveaux arbres. L’oiseau-tonnerre est très présent dans les histoires et chansons des peuples autochtones ».

La mère du continent

La visite se termine sous les arbres, devant la Pétroforme de la Femme du ciel, Giizhigookwe en anishinabemowin. « Cet espace est comme son sanctuaire, commente la Gardienne du savoir autochtone. Les gens y laissent toutes sortes d’offrandes et de rubans de prière. » 

Partout sur le site, des rubans de prière et autres offrandes ont été accrochées aux branches.

La croyance autochtone dit que Giizhigookwe, femme qui vient du monde du ciel et des étoiles, est la mère du continent nord-américain, l’Île de la Tortue.

La guide raconte : « Elle mangeait des fruits car elle portait la vie. Elle a vu des oiseaux en dessous et elle était curieuse. Elle a mis des fruits et des graines dans son sac de guérisseuse, puis elle est descendue par les racines de l’Arbre du Grand Esprit.

« Sur Terre, les oiseaux et les êtres de l’eau ont vu cette femme qui descendait des étoiles et sont allés l’aider. Ils savaient qu’elle était spéciale. Grand-mère tortue a vu cela et a dit aux oiseaux d’installer la femme sur son dos. 

« La femme a alors dit qu’elle avait besoin de terre et tous les êtres de l’eau ont essayé d’aller en chercher au fond de l’eau, sans succès. C’est finalement Rat musqué qui a réussi, même si personne ne pensait qu’il y arriverait.

« La femme a pris la terre, elle l’a mise sur le dos de Tortue et y a déposé ses graines, et tous les animaux ont dansé en cercle sur le dos de Tortue. Les graines ont poussé et ont formé l’Île de la Tortue. »

La tortue représente aussi le continent nord-américain, que les Autochtones ont d’ailleurs appelé l’Île de la Tortue.

Un site transformateur

Si Diane Maytwayashing tient aujourd’hui à transmettre son savoir sur les Pétroformes du Whiteshell à autant de monde que possible, c’est que la découverte de ce site a été pour elle transformatrice.

« J’étais dans un moment très noir de ma vie il y a presque 30 ans quand un ami m’a proposé de m’emmener à Bannock Point. J’y ai découvert un lieu tellement puissant que j’ai dû utiliser un bâton de marche pour garder mon équilibre!

« J’ai tout de suite voulu y retourner pour une quête de vision. On me disait que c’était un peu fou et dangereux, mais je sentais que c’est là que je devais être. J’ai jeûné en quête de vision jusqu’à quatre jours chaque année pendant 11 ans. Les Pétroformes ont complètement changé ma vie, elles lui ont redonné un sens. Les enseignements des pétroformes sont profondément ancrés en moi aujourd’hui. J’ai une véritable relation avec ce site. »

Les Pétroformes de Bannock Point ont reçu en 2023 le Prix de l’expérience culturelle la plus exceptionnelle de Travel Manitoba. Si ce site semble être le plus grand site de Pétroformes, il en existe d’autres dans l’Est manitobain.