Par Ophélie Doireau et Hugo Beaucamp.
C’est la Chaire de recherche sur l’éducation en plein air qui travaille sur ce sujet.
L’éducation n’a jamais été linéaire. Ses premières traces remontent à l’antiquité, au temps des philosophes. Tout comme les sociétés, la frise chronologique de l’éducation est parsemée de bouleversements et d’évolutions.
Gabriela Quintela est chercheuse et coordonnatrice scientifique à la Chaire de recherche sur l’éducation en plein air de l’Université de Sherbrooke.
Elle pense qu’il est temps pour le système d’éducation actuel d’évoluer vers une nouvelle forme de pédagogie qui se déroulerait loin des bancs de l’école. Elle explique. « L’éducation en plein air est un terme un petit peu parapluie. Dedans, il faut comprendre toutes les pratiques pédagogiques, les situations d’enseignement et d’apprentissage qui se déroulent en dehors des murs de l’école. Qu’il s’agisse de la cour de l’école, d’un bois ou d’un cours d’eau, peu importe, tant qu’il y a une intention pédagogique derrière. »
Plusieurs arguments
Plusieurs arguments expliquent la volonté de voir un nouveau système mis en place.
D’abord, pour raviver l’intérêt des élèves. « Aujourd’hui, l’école est très magistrale, tous ceux et celles qui sont passés par les bancs de l’école ont ressenti de l’ennui en étant assis 24 h par semaine en classe. »
De plus, d’après la chercheuse, le système actuel est en train de s’essouffler.
« L’école ne répond plus aux besoins du marché ni à ceux de la société qui doit tendre vers plus de justice sociale et de prise en compte de l’environnement.
« Le système d’éducation traditionnel ne correspond en réalité qu’à une petite partie de la population. »
Un point que confirme Alain Laberge, directeur général de la Division scolaire franco-manitobaine qui a des conversations fréquentes sur la question de la pédagogie à l’extérieur.
« L’éducation n’est pas la branche qui avance le plus rapidement. En 50 ans, on est passé d’un tableau noir, à un tableau vert puis à tableau blanc. Il y a peut-être deux trois autres changements. Mais ils sont minimes. Nous sommes parfois réticents à adapter notre pédagogique parce que c’est le confort. »
Amener la pédagogie hors des murs de l’école deviendrait alors aussi une question d’équité. Certains profils d’élèves ne sont simplement pas adaptés à l’apprentissage en intérieur comme l’explique Gabriela Quintela.
« Les enseignants rapportent qu’ils redécouvrent leurs élèves juste en ayant franchi le pas de la salle de classe. »
Pour un enseignant, la perspective de faire classe en extérieur s’accompagne souvent de la crainte d’avoir une classe dissipée ou la perte de son contrôle.
Pourtant pour Gabriela Quintela, le jeu en vaut la chandelle. Apprendre à l’extérieur serait bon pour un tas de choses : pour la santé mentale, la santé physique, la cognition et l’aspect social.
« Nous avons remarqué qu’il y a beaucoup plus d’inter-actions sociales positives à l’extérieur que dans une salle de classe où l’atmosphère peut être parfois plus austère et autoritaire.
« Aller dehors crée une dynamique différente. Le rôle de l’enseignant change un peu, il prend des allures de guide. Il n’est plus tant celui qui transmet le savoir que celui qui accompagne
De son côté, Alain Laberge observe également des changements positifs pour les élèves.
« Je dis souvent : vous pouvez apprendre la théorie d’un smash en basketball, tant que vous n’avez pas eu un ballon dans les mains, ce n’est que de la théorie. Avoir des classes à l’extérieur permet de mettre en application des leçons comme le fait de calculer un périmètre. Être à l’extérieur permet de se rendre compte que l’école n’est pas toujours rectangulaire donc il faut maîtriser plusieurs bases de calcul. C’est de la pratique concrète. Il y a de la manipulation avec les outils enseignés de manière théorique.
« Le système d’éducation traditionnel ne correspond en réalité qu’à une petite partie de la population. » Gabriela Quintela.
Un travail de préparation
« Surtout que l’apprentissage à l’extérieur marque beaucoup plus les esprits des jeunes parce que les jeunes sont impliqués dans leur processus d’apprentissage. Nous n’avons pas de données quantitatives puisque nous menons davantage des projets pilotes comme avec le Camp Moose Lake avec des données qualitatives. Ce que nous retenons c’est que les jeunes n’ont pas peur du -35˚C. Pour eux, le monde est un laboratoire dont nous ne servons pas assez. »
Au sujet de l’aspect cognitif, les recherches de Gabriela Quintela font état d’une meilleure attention et d’une meilleure rétention des apprentissages.
Toutefois, il est certain que ce type d’enseignement demande un travail de préparation suivant les matières. « Avant de commencer, il faut découvrir quelles sont les occasions d’apprentissage qu’offre son quartier. Beaucoup de choses peuvent être enseignées en plein air.
« Par exemple, si un enseignant passe devant un cimetière, c’est une opportunité pour parler d’histoire. En didactique des sciences, là c’est beaucoup plus facile de parler d’écosystème aux élèves quand tout est sous tes yeux. Pour les élèves, l’apprentissage est facilité car ils peuvent observer les phénomènes directement. »
D’après les observations de la Chaire de recherche, l’éducation en plein air se fait beaucoup au niveau préscolaire. Les chiffres diminuent à un rythme croissant lorsqu’on avance au niveau scolaire, secondaire. D’ailleurs, les chiffres sont très bas au secondaire et quasi inexistants à l’université. Pourtant, « les bénéfices d’être dehors sont les mêmes pour les enfants et les adultes ».
Avant de voir une mise en place généralisée d’un nouveau système pédagogique, il reste quelques préoccupations auxquelles répondre.
D’abord, Gabriela Quintela fait valoir que les systèmes éducatifs sont « très conservateurs ».
« J’ai travaillé aux Nations Unies à Genève où j’ai eu l’occasion d’échanger beaucoup avec des personnes des ministères de l’Éducation de différents pays. J’ai constaté qu’il existe une sorte d’immobilisme, un statu quo qui est préservé à l’égard des systèmes d’éducation. »
Tout est alors question de volonté politique comme elle l’indique. « Chaque État met en place des orientations stratégiques qui se reflètent ensuite à l’école. »
Outre cet obstacle non négligeable, tous les pays ne sont pas égaux face à l’accès à la nature. Par exemple, l’apprentissage des sciences est plus difficile à identifier en centre-ville qu’au rural. Et quant à la météo au Canada? Alain Laberge pense que ce n’est pas un obstacle. « Évidemment il y a la question de la météo. Mais je pense qu’il faut faire fi de ces obstacles. C’est un peu comme l’apprentissage à distance. Au début, les enseignants n’avaient pas l’habitude de l’éducation en virtuel. Puis ils se sont ajustés et finalement, c’est devenu un outil de plus dans l’apprentissage. Alors l’enseignement à l’extérieur de la salle de classe, c’est le même chemin. »
En ce sens, la mission de la Chaire de recherche consiste aussi à légitimer les pratiques d’éducation en plein air pour encourager les directions d’école à mettre en place des ressources. Par exemple, que ce soit la mise en place de système de transports comme dans le cadre de sorties scolaires standard.
Malgré tout, le plus gros travail reste de parvenir à convaincre au niveau ministériel. Gabriela Quitela admet que « nous en sommes encore au balbutiement de ces négociations-là. Je reste optimiste. De plus en plus de personnes tendent l’oreille et au Québec, une forte volonté politique commence à se montrer. »
La Division scolaire franco-manitobaine joue le jeu
Au Centre scolaire Léo- Rémillard, des fonds ont été prélevés par les élèves au cours de l’année. L’objectif est justement de développer une classe extérieure à l’école.
Toujours dans cette logique de s’éloigner des salles de classes, certaines des écoles qui possèdent un tipi sur leur terrain dispensent certains apprentissages sous ces derniers.
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