Cependant, elle ne partira pas loin! Retour sur une carrière au service des femmes et des familles.

Vous avez rejoint l’équipe de Pluri-elles le 13 février 2001. Qu’est-ce qui vous a amenée à croiser la route de cet organisme?

J’ai d’abord été participante d’un programme de Pluri-elles en 1996. J’arrivais du Québec avec mes trois filles et j’ai suivi le programme Prendre sa carrière en main. J’avais dû me battre avec la Province pour pouvoir être acceptée dans le programme car je ne venais pas de l’étranger, et Pluri-elles m’avait soutenue. 

Après ça, j’ai toujours dit que je rendrais à Pluri-elles tout le soutien qu’il m’avait donné. Je suis devenue membre du conseil d’administration de Pluri-elles et présidente. Quand ils ont eu besoin d’une direction générale en 2001, ils sont venus me chercher. Je n’ai pas hésité.

De toute évidence, ils ont eu raison de vous offrir le poste! Le 15 octobre prochain, vous laisserez la direction générale après plus de 23 ans et demi en poste. Comment appréhendez-vous cette transition?

En fait, c’est possible que je continue à travailler à Pluri-elles après le 15 octobre, mais plus comme directrice générale. Je veux juste faire des choses que j’aime, m’occuper de projets que j’aime. Pluri-elles avait sept ou huit employé.e.s quand je suis arrivée, aujourd’hui il y en a une soixantaine!

Je veux aussi réduire mon rythme de travail, mais je sais que je ne pourrai pas m’arrêter complètement de travailler. J’ai besoin d’activité.

Vous semblez passionnée par votre travail. Qu’est-ce qui a motivé votre décision de vous retirer de votre poste?

J’ai eu une pneumonie COVID. Moi qui ne prends quasiment jamais de journée de maladie, j’étais incapable de travailler.

Ça m’a fait réfléchir. Je me suis dit que s’il m’arrivait quelque chose, je n’avais formé personne à prendre le relais. J’étais la seule à savoir où étaient toutes les affaires. Il fallait que ça change. On avait travaillé trop fort pour risquer que Pluri-elles ne puisse pas continuer sur sa lancée après moi.

Alors j’ai parlé au conseil d’administration de mon projet de quitter la direction générale, et Pauline Ambec est devenue mon adjointe en 2022-2023 pour que je puisse prendre le temps de bien la former à me remplacer.

Il devait y avoir beaucoup de choses à couvrir… Depuis les débuts de Pluri-elles en 1981, les initiatives et les succès de l’organisme ont été multiples. Comment décririez-vous l’évolution que Pluri-elles a connu?

Les programmes se sont beaucoup développés entre mon arrivée et maintenant. L’alphabétisation, par exemple, ne marchait pas du tout. On avait deux centres, un à Saint-Laurent, un à Saint-Pierre-Jolys, mais personne n’y allait. Il y avait une image négative de ces centres. Aujourd’hui, nous sommes rendus à 12 centres d’alphabétisation partout dans la province! L’alphabétisation a été ma première victoire.

Quel est le secret de ce retournement de situation?

Ma force, c’est que je pose des questions! J’avais croisé Randy Boissonneault, qui était alors consultant en alphabétisation, dans le cadre d’une rencontre de la Fédération canadienne pour l’alphabétisation en français (FCAF). Il avait participé à beaucoup de programmes en Alberta. Il en connaissait beaucoup sur l’alphabétisation. Je lui ai parlé du fait que chez nous, ça ne marchait pas, et je lui ai demandé quoi faire.

Il m’a dit de recruter des gens directement dans les communautés plutôt que d’en envoyer de Saint-Boniface. J’ai suivi son conseil et l’alphabétisation est montée en flèche! Puisque les formateurs connaissaient déjà leurs communautés, le lien de confiance était là et les gens n’avaient plus peur de venir.

On a aussi recruté des employé.e.s plutôt que de ne compter que sur des bénévoles car nos bénévoles n’étaient pas disponibles en hiver. Ils s’en allaient dans le sud. Avoir des employés présents pendant toute l’année, ça a fait toute la différence pour nos apprenant.e.s. On a trouvé du financement pour les payer.

Le succès était tel qu’un nouveau projet a vu le jour : l’aide aux devoirs. 

En effet, je voyais qu’on avait toujours beaucoup de monde dans nos cours d’alphabétisation et je me suis dit qu’il serait bien de prendre le problème à la source : aider les jeunes dès le départ, dès l’école, pour qu’ils n’aient pas besoin de nos programmes plus tard. 

Mais le projet a évolué. Quand on a commencé il y a une dizaine d’années, l’objectif était avant tout de donner les capacités aux adultes entourant l’enfant de l’aider à faire ses devoirs. 

On s’est rendu compte que ça ne marchait pas car les méthodes changent. Les façons de faire des mathématiques, d’apprendre à lire, les règles d’orthographe… Les parents et tuteurs étaient perdus. 

Alors nous avons commencé à travailler avec les écoles directement. Pluri-elles paie des aides qui sont recruté.e.s par les écoles. Celles-ci fournissent aussi des locaux. Souvent, ce sont des auxiliaires qui font l’aide aux devoirs, et les élèves peuvent y aller quand ils en ont besoin. Certains sont toujours là, d’autres ne viennent qu’une fois dans l’année. En 2023-2024, 12 écoles travaillaient avec nous. 

Quels autres projets ont été créés sous votre direction? 

L’alphabétisation familiale, c’est-à-dire l’idée d’aider les parents et tuteurs à développer des compétences parentales et à faire des activités en famille, est un concept qui n’existait pas vraiment au Manitoba. La notion de jouer en famille consciemment, ça n’existait pas ici. 

On a eu la chance, grâce à la FCAF, d’avoir des partenaires avec qui on pouvait travailler, échanger, et du financement du Fédéral. C’est comme ça qu’on a pu développer divers programmes d’alphabétisation familiale. 

On a fait de nombreux projets, mais l’un de ceux qui me resteront en mémoire, c’est le dernier, Familles engagées

J’étais présidente du RESDAC (Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences) et je me suis demandée pourquoi on laissait toujours aux écoles la responsabilité de s’arranger avec nos enfants pour en faire de bons citoyens. Familles engagées redonne la participation citoyenne aux familles, et ça marche vraiment. Les familles participantes sont très impliquées. 2024-2025 sera notre troisième année. 

Et dans le secteur employabilité? 

Un des moments forts en employabilité, c’est quand on a lancé La route vers le succès, qui reprenait l’ancien Prendre sa carrière en main. C’est le projet qui m’avait mise au monde au Manitoba, alors il était important pour moi! 

Prendre sa carrière en main était financé par le Fédéral quand j’y ai participé. Mais quand le Fédéral a décidé de redonner les projets aux Provinces au milieu des années 2000, tout a changé. Les objectifs des projets n’étaient plus les mêmes. Alors on est allé chercher de l’argent auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et on a recréé un projet pour soutenir les femmes nouvelles arrivantes, La route vers le succès, il y a environ quatre ans. On leur offre plein de formations selon leurs besoins : anglais, français, finance, technologie, premiers soins, salubrité des aliments, compétences… Exactement comme c’était en mon temps. 

En entraide et counselling aussi? 

En plus du counselling plus sérieux – par exemple pour les femmes et les enfants victimes de violence familiale – et des projets de prévention de la violence, on a aussi développé toute une gamme d’ateliers plus amusants sur le développement de soi, de la femme, du lien mère-enfant, etc. 

Pluri-elles a quand même connu des moments un peu plus difficiles. Je pense notamment à la pandémie qui a mis à mal tant d’organismes… 

Absolument. Quand la COVID est arrivée, Pluri-elles n’avait jamais fait de formation en ligne. Ce qui nous a sauvés, ça a été de nous associer avec la Coalition ontarienne de formation des adultes pour aller chercher de l’argent au Fédéral afin de mettre sur pied un programme de formation en alphabétisation en ligne. Aujourd’hui, on offre le programme en ligne et en personne. 

Un autre défi auquel on fait toujours face, c’est le manque de travailleuses sociales francophones pour notre secteur Entraide et counselling. Les besoins sont nombreux, il a donc fallu trouver des solutions. 

Nous nous sommes alors associés avec l’Association des juristes d’expression française au Manitoba pour qu’ils viennent donner des formations sur des droits de la famille manitobains à notre personnel nouvel arrivant qualifié en travail social, afin qu’elles puissent recevoir un certificat et être bien outillées pour aider nos clientes. 

Que ce soit en matière de programmes, de projets ou de développement professionnel, vous n’avez jamais reculé devant le travail à accomplir… 

En effet. Pour mieux assurer mon rôle de directrice générale, j’ai même suivi deux ans de cours avec la Société canadienne des directeurs d’associations (SCDA) pour obtenir un diplôme de directrice d’association. J’ai été diplômée le 12 octobre 2004. Ça m’a permis d’avoir plus d’outils, une formation plus solide, et d’être reconnue partout au Canada comme directrice d’association. 

Je n’ai pas non plus eu peur de poursuivre des idées un peu folles. Mais ça, ça n’a été possible que grâce au soutien que j’ai reçu. Quel que soit le projet, j’ai toujours eu un personnel derrière moi qui y croyait aussi, qui me soutenait, qui travaillait avec moi pour que le projet voie le jour. 

J’ai aussi toujours eu le soutien et la confiance de mon conseil d’administration. Durant toutes ces années, ces femmes ont joué un rôle crucial dans la réussite et l’épanouissement de Pluri-elles, et les miens, en fournissant des orientations stratégiques, des ressources et du soutien moral. 

Sans cette synergie, je n’aurais pas été aussi efficace et je n’aurais pas pu me dépasser autant professionnellement et personnellement. Je crois même que j’aurais quitté mon poste il y a longtemps. 

D’ailleurs, en plus de la direction de Pluri-elles, vous avez aussi joué un rôle clé au niveau du RESDAC… 

J’étais membre du RESDAC depuis 2001, et quand le CA a voulu tout arrêter en 2014 par manque de financement, ça m’a mise en colère. Pour moi, ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas d’argent que les apprenant.e.s n’avaient plus besoin de nous! 

Je me suis donc proposée pour prendre la présidence. J’y suis restée sept ans. On s’est battu contre Emploi et Développement social Canada pour retrouver du financement, et on a gagné. 

Agir quand il y a un besoin, même si on n’a pas le financement, c’est ce que j’ai toujours fait. Je finis toujours par trouver les fonds nécessaires. Et il n’a jamais été question de faire payer les participant.e.s, tous nos programmes sont gratuits. 

Un dernier mot pour résumer ces presque 24 ans de carrière? 

J’ai toujours été contente de venir travailler à Pluri-elles, même en fin de semaine ou en soirée! Avoir pu rencontrer toutes ces personnes, ces familles, puis voir leurs sourires, ça n’a pas de prix. 

Mais ma plus grande fierté, c’est de ne jamais avoir empiété sur le mandat d’autres organismes, sauf si j’avais leur bénédiction. C’est le cas par exemple du cours d’informatique pour les aînés. La Fédération des aînés de la francophonie manitobaine m’a demandé de le faire. 

J’ai aussi toujours oeuvré pour que Pluri-elles fasse une vraie différence. J’ai fait ma recherche avant de lancer tout projet pour m’assurer qu’il n’était pas déjà proposé par un autre organisme, et donc qu’il répondrait vraiment à un besoin. Je quitte la direction l’esprit tranquille.