Par Elyette Levy.

La fraude amoureuse constitue un crime qui coûte à ses victimes des millions $ par année et de la douleur émotionnelle non mesurable. Cependant, les discussions sociétales autour de ce type de crime demeurent accusatrices envers les victimes. Exploration de mythes et stéréotypes communs de ce cybercrime.

Avec les multiples sites et applications de rencontres disponibles depuis les dernières années, la rencontre de nouvelles personnes n’a jamais été aussi facile. Avec leur multiplication, ces sites et applications ont également permis aux cybercriminels de trouver plus facilement leurs prochaines victimes. 

Effectivement, en bâtissant une fausse relation romantique avec leurs victimes, les fraudeurs en ligne parviennent à obtenir des sommes d’argent importantes, un stratagème appelé la fraude amoureuse.

D’après le Centre anti-fraude du Canada, 448 Canadiens ont déjà déclaré avoir été victimes de fraudes amoureuses pendant la première moitié de l’année 2024, signalant des pertes de 22,9 millions $. 

En 2023, 999 personnes au pays ont été victimes de ce type d’arnaque, pour une perte totale de 52,4 millions $. En moyenne, chaque victime rapporte donc aux fraudeurs plus de 50 000 $.

Cela dit, plusieurs experts répètent souvent que les rapports officiels sous-estiment le nombre de victimes de la fraude amoureuse en raison de sa nature personnelle et souvent embarrassante et stigmatisée. En effet, des stéréotypes sont apparus et se sont répandus dans la société.

Charles Viau-Quesnel, professeur titulaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, espère démystifier le sujet. Dans une étude présentée au ministère de la Justice du Québec, lui et sa collègue, la professeure Julie Carpentier, ont rencontré des intervenants et des victimes de fraude amoureuse pour documenter leurs expériences et les façons dont ce type d’arnaque se manifeste.

Charles Viau-Quesnel
Charles Viau-Quesnel est professeur titulaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières. (photo : gracieuseté)

« On a rencontré 17 victimes âgées entre 40 et 75 ans dans le premier volet. Nos cas étudiés allaient de tentatives de fraude avec des montants d’argent relativement limités, comme quelques centaines $, jusqu’à des pertes énormes. Une victime a perdu plus de 300 000 $ dans un cas de fraude. »

La nature de l’étude a permis aux chercheurs d’aller en profondeur avec leurs sujets : au cours de deux rencontres avec chaque victime, ils ont dressé des portraits chronologiques de l’histoire de la fraude, y compris la première demande d’argent. 

Ils ont pu discuter de leur implication émotionnelle, de leurs besoins, des démarches entreprises pour signaler les crimes et de l’impact. 

Finalement, les chercheurs ont fait remplir à chaque victime un questionnaire de personnalité afin d’avoir une meilleure idée de qui ces personnes étaient réellement.

Ces études ont montré qu’il existe un fossé important entre les stéréotypes concer-nant les victimes de fraude amoureuse et ce qu’elles ont réellement vécu.

« Il n’y a aucune différence entre la population en générale et notre échantillon en termes de dépendance ou d’impulsivité. 

« Ce qu’on a trouvé, ce sont plutôt des traits de person-nalité qui sont généralement vus comme étant positifs. Nos victimes tendaient à avoir une ouverture à la nouveauté plus élevée. Ils sont un peu à l’avant-garde en matière technologique, puisque ce sont des personnes âgées qui sont curieuses à l’idée de rencontrer des personnes en ligne et à utiliser de nouvelles technologies. 

« D’autre part, l’étude a montré qu’il s’agissait de gens qui étaient plus consciencieux que la moyenne. Par exemple, ce sont des gens qui vont faire attention à autrui, qui sont méticuleux, planificateurs et plutôt rationnels. »

Charles Viau-Quesnel explique que cette dissonance avec les stéréotypes courants de victimes amoureuses, romantiques et quelque peu naïves est toutefois cohérente avec la nature du crime. 

En effet, il a constaté que les victimes avec lesquelles il s’est entretenu avaient un bon niveau d’éducation, plus de la moitié de leurs sujets avaient fait des études universitaires et étaient relativement à l’aise financièrement.

« La plupart du temps, la fraude amoureuse vise des gens qui ont de l’argent. Les fraudeurs ne sont pas intéressés à frauder des gens qui n’ont rien à leur donner. Par exemple, au sujet de la victime qui a perdu plus de 300 000 $, il a fallu qu’elle accumule cette somme d’argent. Ce sont des gens qui avaient de bons emplois qui ont fait des épargnes.

« De plus, ce sont des gens qui utilisent aussi des moyens technologiques plus haut de gamme. Très souvent, le fraudeur va les amener à faire des transactions en ligne en utilisant des interfaces qui sont plus ou moins traçables. Les cybercriminels utilisent des moyens qui démontrent que les victimes sont flexibles, intelligentes, et malheureusement adéquates pour cette arnaque. » 

D’après Charles Viau-Quesnel, il est important de communiquer ce type de résultats au public afin de désamorcer le sentiment de honte et la tendance à blâmer les victimes. 

En d’autres mots, casser le mythe selon lequel les victimes de fraude amoureuse sont responsables de ne pas avoir été plus conscientes ou qu’elles sont uniques dans leur naïveté contribue à briser un stigmate qui peut causer du mal.