L’affaire Bélizaire serait l’un des rares événements de l’échiquier politique à marquer autant la vie nationale au cours de la dernière décennie. Des notes de presse de protestation et d’appel au calme en provenance des ambassades, des organisations de défense des droits de l’homme, des organisations de la société civile ont pullulé et les média internationaux en ont fait largement écho.
Le 27 octobre 2011, le député Arnel Bélizaire fut arrêté en descendant de l’avion qui le ramenait d’une mission parlementaire tenue en France. Bélizaire fut accusé d’être un évadé de prison contre lequel l’action publique devrait être mise en mouvement. Certes le député a eu des démêlées avec la justice mais son avocat, Me Camille Leblanc, a montré des pièces justificatives émises par les tribunaux compétents en la matière de la liberté de mouvement de son client. Sans vouloir jouer au juriste, on peut résumer les arguments autour du point que la Constitution de 1987 interdit l’arrestation d’un député en fonction sauf en cas de flagrance et même dans ces circonstances, il devrait être transféré au Parlement qui doit lever son immunité avant que la Justice puisse le poursuivre. Dans le cas d’Arnel Bélizaire, ce prescrit n’a pas été suivi rendant par le fait même l’arrestation du député un forfait pur et simple.
L’arrestation du député, qui a fait crier à la dictature, est survenue après des altercations avec le président Martelly au Palais national où les deux hommes d’État se sont échangés des propos pour le moins injurieux. Après ces disputes, Martelly avait déclaré à la presse qu’il allait devenir cynique et que le Parlement est le refuge de beaucoup de repris de justice. Une semaine plus tard, l’arrestation du député a eu lieu, en fait le même jour où le président quitta le pays pour se rendre aux USA afin de subir une chirurgie à l’épaule. Parallèlement, une cinquantaine de députés s’étaient présentés à l’aéroport, ce jeudi 27 octobre 2011, pour tenter d’empêcher l’arrestation de leur confrère mais le même le salon diplomatique leur était interdit et la force a triomphé, du moins temporairement.
Ce qui ne devrait jamais arriver arriva. Et la réponse fut de l’ordre de l’offense. Les députés en pleine session extraordinaire, le vendredi 28 octobre dernier, étaient en train de délibérer sur les mesures à prendre, entre autres la démission de tous ceux qui sont impliqués dans cette arrestation, quand Arnel Bélizaire fut déposé au Parlement sans aucune autre forme de procès. Acclamé par ses pairs et sympathisants, le député, dont le passé est loin d’être exemplaire, fut élevé au rang de héros national pour avoir défié la fougue de Martelly et sa grande improvisation dans la gestion de la chose publique.
Les conséquences furent lourdes pour certains des exécutants de cette gabegie dont le pays n’avait vraiment pas besoin. Le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Léger, a été renvoyé par le Ministre de la justice. Ce dernier, Josué Pierre-Louis, a dû démissionner de son poste évitant ainsi un vote de censure du Sénat. On comprend par là aussi que la démission du ministre de la justice survient à l’issue d’une série de négociations entre l’Exécutif et certains sénateurs influents du bloc majoritaire.
Il semble que le président soit sorti affaibli de cette histoire qui a miné sa crédibilité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette arrestation d’un député en fonction fut une grande première en Haïti depuis la dictature des Duvalier. Le dernier discours du président se veut rassembleur mais certains observateurs lui reprochent de ne pas aller trop loin, ce qui voudrait dire que le chef de l’État devrait présenter des excuses publiques pour avoir mis l’action publique en mouvement contre un député, qui est aussi élu au même titre que lui. Cette saga politico-judiciaire révèle la fragilité de la démocratie haïtienne mais aussi son cheminement puisque désormais certains actes autoritaires ne sont plus tolérés et les abus de pouvoir ont la vie dure à se faire accepter dans l’opinion publique. On espère que la présidence a appris sa leçon, celle de ne jamais utiliser l’appareil d’État à des fins purement égocentriques.