Les amoureux de la langue française qui visitent Paris ont au moins deux bonnes raisons de faire un détour par la petite ville de Villers-Cotterêts, à une centaine de kilomètres au nord-est de la capitale. D’abord, la ville abrite la Cité internationale de la langue française qui, depuis son ouverture en octobre 2023, a accueilli plus de 250 000 visiteurs ainsi que le 19e Sommet de la francophonie les 4 et 5 octobre dernier.
Ce premier musée consacré au français dans sa dimension mondiale est installé dans un magnifique château Renaissance récemment restauré pour l’occasion. Le choix de ce lieu est très symbolique, puisque c’est ici que le roi François 1er signa, en 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts rendant obligatoire l’usage du français – et non plus du latin – dans l’administration et la justice en France.
La deuxième bonne raison de visiter Villers-Cotterêts est le plus célèbre de ses enfants : Alexandre Dumas. En cheminant de la gare au château, on croise successivement sa statue surplombant une élégante place, un musée consacré à sa vie et à son œuvre, et sa maison natale, imposante bâtisse en pierre qui ne semble guère avoir changé depuis le 19e siècle; c’est aujourd’hui encore une résidence privée que l’on ne peut pas visiter.
L’auteur des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo est né à Villers-Cotterêts en 1802 et y a passé les vingt premières années de sa vie. L’un de ses passe-temps favoris était la chasse qu’il a abondamment pratiquée dans la vaste forêt de Retz bordant la ville. Dumas montre une profonde connaissance de sa région natale ainsi que de la chasse dans son roman fantastique intitulé Le Meneur de loups. On peut le lire gratuitement sur le site Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Meneur_de_loups), notamment.
Ce roman captivant, où l’humour alterne avec les frissons, raconte l’histoire de Thibault le sabotier se transformant progressivement en loup-garou sous l’effet d’un pacte diabolique. Il a pour cadre les environs de Villers-Cotterêts aux noms savoureux, comme « les bruyères de Gondreville », « la remise des Trois-Chênes » ou « la queue d’Oigny ». Le récit comporte plusieurs scènes de chasse – au daim et au loup-garou! – que Dumas décrit magistralement à l’aide de termes spécifiques, comme se forlonger (le fait, pour une bête traquée, de prendre beaucoup d’avance sur ses poursuivants), faire buisson creux (ne pas trouver le gibier à l’endroit voulu) ou chasser à la billebaude (au hasard).
On n’en a pas toujours conscience, mais la chasse, vieille passion française, a beaucoup imprégné le langage courant. C’est assez évident dans certaines expressions, comme être aux abois (être dans une situation désespérée, tel un animal cerné par les aboiements des chiens); être à l’affût de, c’est-à-dire surveiller, guetter (l’« affût » au sens propre désigne l’endroit où se cache un chasseur); ou encore réclamer à cor et à cri, autrement dit en faisant du bruit, comme les cors de chasse et les cris des chiens pendant une chasse à courre.
Pour d’autres expressions, l’origine cynégétique est plus inattendue. Ainsi, tomber dans le panneau(signifiant « se laisser tromper ») fait référence aux filets appelés « panneaux » utilisés pour la capture du gibier; le miroir aux alouettes, synonyme de leurre ou de piège, renvoie à une pratique de chasse dans laquelle on dispose des objets réfléchissants pour attirer les oiseaux; et les personnes qui jouent du pipeau(qui racontent des mensonges) ne savent généralement pas qu’elles évoquent le chasseur soufflant dans un « pipeau » (synonyme d’appeau, de leurre) pour tromper les oiseaux en imitant leurs cris.
Plusieurs termes qui décrivent les techniques ingénieuses employées par les bêtes traquées pour cacher leurs traces (par exemple, en revenant sur leurs pas ou en empruntant un cours d’eau) ont pris un sens figuré dans le langage courant. C’est le cas de donner le change, prendre le contrepied, mettre en défaut, ou encore faux-fuyant.
Les chasseurs décrivent certains chiens comme ayant la dent dure (parce qu’ils abîment le gibier entre leurs dents) et d’autres comme ayant du mordant (parce qu’ils vont au contact de leur proie). Ces deux expressions sont également passées dans l’usage courant pour qualifier les personnes qui expriment des jugements sévères et celles qui parlent avec vivacité. Quant au terme fin limier, qui décrit couramment un enquêteur de police habile et persévérant, il désigne à l’origine un chien de chasse à l’odorat puissant que l’on retient par un lien (« limier » vient de l’ancien français « liem »). Un moyen sûr d’éviter qu’il ne coure deux lièvres à la fois!