Ironie du sort, l’organisme fêtait aussi ses 20 ans. Alors l’assemblée s’est tout de même clôturée par une coupe de mousseux sans alcool, mais force est d’admettre que les nouvelles n’étaient pas réjouissantes. 

« Nous sommes entrés en gestion de crise », a déclaré Diane Poiron-Toupin, présidente de Santé en français. 

Pour rappel, Santé en français est un organisme qui oeuvre à favoriser l’accès aux services de santé et de services sociaux en français au Manitoba. Par exemple, il a appuyé la création d’un réseau de soins de santé primaire pour la population francophone de la région Santé Sud. De plus, l’on peut mentionner le projet tripartite entre Santé en français, le Secrétariat aux affaires francophones et Soins communs, qui aboutira sur l’implémentation de services en français au sein de Soins communs. 

C’est d’ailleurs aux profits de Soins communs que l’organisme francophone pourrait perdre plus de la moitié de son budget opérationnel. 

Un point sur les différentes ententes

En effet, l’enveloppe de 250 000 $ de l’entente Canada-Manitoba ainsi que les fonds du ministère de la Santé de 225 661 $ en 2024 pourraient être réalloués à Soins communs d’ici mars 2027 selon une décision du gouvernement provincial. Soit près d’un demi-million $. Pour information, sur l’année 2024, le budget total de Santé en français était de 854 224 $ 

D’après la directrice Diane Poiron-Toupin, avant de recevoir la lettre officielle au sujet du remaniement budgétaire, au mois d’avril 2024, la nouvelle n’était rien de plus que des bruits de couloirs, « des ouï-dire ». 

« Nous recevons dans notre financement une entente avec le ministère de la Santé et une entente avec le ministère des Familles. Dans chaque entente, il y a une partie qui vient du ministère de la Santé qui est ensuite bonifiée par l’argent que le ministère aux Affaires francophones reçoit dans l’entente Canada-Manitoba. »

L’argent provenant de l’entente avec le ministère des Familles, lui, n’est pas concerné par la réorientation. Mais il est beaucoup moins important, soit 59 521 $ en 2024. 

Conséquences pour la francophonie 

À la suite de cette décision du gouvernement néo-démocrate, les risques auxquels fait face Santé en français sont clairs : l’effritement de l’organisme pouvant mener jusqu’à sa disparition. 

Pour le directeur général de Santé en français, Jérémie Roberge, la décision du gouvernement n’est pas dénuée de sens, même si le virage est abrupt et vient secouer un système en place depuis 20 ans. « L’objectif du remaniement est de renforcer les services gouvernementaux directs. C’est une vision qui peut se comprendre lorsque l’on vise avoir une province réellement bilingue. Ce que l’on entend du côté des Affaires francophones, c’est que l’on souhaite responsabiliser les ministères envers leurs obligations. » 

Jérémie Roberge, souligne malgré tout que la perte de Santé en français serait un coup dur pour la francophonie. Quand bien même l’entité en elle-même n’offre pas de services directs de soins de santé bilingues, elle joue un rôle important dans la mise en place de ces derniers. 

« Santé en français apporte la voix de la communauté dans les initiatives qui sont développées par le gouvernement qui s’adresse à la francophonie manitobaine. Santé en français est impliqué dans un service d’appui qui vise l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des plans de services en français. 

« C’est-à-dire qu’on a cinq politiques administratives : une sur la désignation des établissements bilingues, une sur la désignation des établissements francophones, on a une obligation redditionnelle qui force la mise en place des plans de services en français, il y a une politique sur les sondages aux patients et une sur les ressources humaines bilingues en santé. 

« Nous avons un impact direct sur l’offre de services en soins de santé au Manitoba. » 

Dialogue en cours

Toujours est-il que pour le moment, le directeur général, même s’il ne souhaite pas entrer dans le détail, indique qu’un dialogue est en cours avec le gouvernement provincial et Soins communs pour trouver une solution. 

Dans ces dialogues, Santé en français peut compter sur le soutien de la Société de la francophonie manitobaine (SFM). 

Son directeur général Jean-Michel Beaudry confirme que la SFM appuie l’organisme depuis le mois d’avril au niveau des relations gouvernementales. 

« Entre autres pour créer des opportunités de dialogues avec la personne ministre de la Santé Uzoma Asagwara et le ministre responsable des Affaires francophones, Glen Simard. Nous sommes en recherche de solutions et j’ai bon espoir qu’elles seront trouvées. »

Améliorer les services en santé en français 

Le ministre Glen Simard explique que la décision du gouvernement de relocaliser les fonds vers Soins communs est motivée par une volonté d’améliorer les services en français à travers le Manitoba. Toutefois, il maintient que Santé en français contribue en grande partie à l’atteinte de cet objectif. 

Sans trop donner de détails, là encore, car les négociations sont en cours, il explique : « Santé en français et Soins communs sont en train de développer et de mettre en place une nouvelle entente de services qui visera à soutenir la vision de l’organisme, appuyer et soutenir les partenaires qui aident à l’accès aux services de santé en français. »

La personne ministre de la Santé, des Aînés et des Soins de longue durée, Uzoma Asagwara, n’a pas répondu à notre demande d’entrevue. 

Au-delà des négociations en cours, la prise de décision du gouvernement invite à se poser la question suivante : si l’on retire les fonds de Santé en français pour les donner à Soins communs, faut-il comprendre que le gouvernement estime que pour améliorer les services de soins de santé en français, l’argent sera mieux utilisé par Soins communs? 

« Nous avons un rôle à jouer en ce qui concerne l’offre de services en santé directe et nous devons en assumer la pleine responsabilité. Mais on doit aussi s’assurer que Santé en français soit équipé pour être la voix des francophones en matière de soins. »

Le ministre Glen Simard ajoute également qu’il n’est pas question de « mettre de côté », Santé en français et que le gouvernement continuera de les soutenir et de travailler avec eux. 

Pour ce qui s’agit de la question du financement, toujours selon le ministre Glen Simard, à condition que les négociations aboutissent, « Soins communs devrait, dans le futur, avoir la charge de soutenir financièrement les efforts de Santé en français ».

Une décision inquiétante 

Interrogé à ce sujet, Joël Lafond, responsable provincial des services en langue française pour Soins communs, n’a pas souhaité commenter. Il a invoqué le fait que les négociations étaient en cours. 

Pour l’analyste politique Michel Lagacé, cela soulève une problématique importante, qui est celle de l’indépendance. Soins communs aura certainement besoin des connaissances et du réseau de Santé en français pour s’assurer que le français soit respecté et rendu disponible là où il peut l’être. Mais si c’est Soins communs qui finance Santé en français, « ça veut dire que l’organisme n’aura plus la capacité de faire des reproches ou des recommandations indépendantes à Soins communs ». 

Un autre point important et qu’il convient de souligner. L’argent de l’entente Canada-Manitoba est un portefeuille de fonds fédéral qui s’inscrit dans un plan stratégique relatif aux services en français. À ce titre, il faudra donc s’assurer que l’argent servira bel et bien à desservir la population francophone et ses intérêts. Le ministre Glen Simard assure que le gouvernement y veillera.

De la frustration

Mais du côté de la SFM, Jean-Michel Beaudry indique ne pas encore savoir comment cela sera évalué.

Le directeur général de la SFM fait tout de même valoir un point de frustration. « Ce qui est problématique, c’est que la prise de décision du gouvernement s’est faite sans dialogue. Ni avec Santé en français ni avec la SFM. Nous (la SFM) avons eu un comité avec le Secrétariat aux Affaires francophones pendant lequel nous avons réaffirmé l’importance de Santé en français. La décision n’a donc pas pris notre opinion en considération. »

C’est là encore un point qui interpelle Michel Lagacé. Selon lui, il est inquiétant de voir que le gouvernement néo-démocrate prend des décisions en faisant fi des positions de la SFM. « Elle est porte-parole de la communauté francophone. Mais ne semble pas pouvoir s’imposer. » 

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