La Liberté est allée à sa rencontre dans son bureau situé à quelques pas de la Chambre rouge, à Ottawa, alors que la session parlementaire bat son plein.
Cela fait plus d’un an que Raymonde Gagné est à la tête du Sénat. Après tout ce temps, comment décrit-elle sa première année? « Cette année a été un apprentissage et une question d’organisation, puis de pouvoir être en mesure de survivre dans le tourbillon qu’est la vie parlementaire. »
La présidente a aussi pris le temps de nouer des relations avec son homologue de la Chambre des communes, Greg Fergus, et auparavant, Anthony Rota.
« Une des choses qui est vraiment importante, et qui je pense a été un point marquant dans toute ma carrière, que ce soit à l’Université de Saint-Boniface ou encore ici [au Sénat], c’est de pouvoir apprécier et de mentorer des gens qui sont compétents et qui rendent ce travail beaucoup plus riche en termes de connaissances. Parce que je ne détiens pas toute la vérité, ça c’est sûr. »
La diplomate
La présidente du Sénat est la quatrième personnalité la plus importante au pays dans l’ordre de la préséance, cela veut dire qu’elle exerce aussi des fonctions diplomatiques.
Dans son rôle, l’Honorable Raymonde Gagné a mené 37 visites de courtoisie, rencontrant des ambassadeurs, présidents de chambres et des hauts-commissaires. Entre-temps, elle a participé à quatre missions diplomatiques couvrant sept pays. Elle a également assisté à sept conférences internationales, dont les plus récentes au Brésil, à l’occasion du G20, et à Montréal, en tant que co-hôte de la 70e assemblée de l’OTAN.
« Ma priorité est la francophonie mondiale, c’est une occasion de pouvoir m’asseoir avec d’autres chefs d’États et parlementaires et de discuter sur la manière de faire croître cette francophonie », souligne la sénatrice.
Bien que l’anglais prédomine sur le français dans les allocutions au Parlement, la plupart des discours de la Franco-Manitobaine se font dans sa langue maternelle. « C’est une façon de laisser ma marque », affirme-t-elle.
Entre contraintes et protocole
Alors que son travail diplomatique lui permet de s’exprimer sur certains enjeux, elle reconnaît que ses fonctions actuelles limitent ses prises de position. « Dans mes travaux de la Chambre, ma voix est peut-être un petit peu plus limitée. Les règlements du Sénat ne m’empêchent pas de prendre la parole. Le président a le droit de voter sur tous les projets de loi. » Il s’agit plutôt d’une règle non écrite car il est relativement rare qu’un président de chambre prenne position sur un projet de loi.
À peine arrivée en poste, la sénatrice indépendante a choisi de se prononcer sur un projet de loi en particulier. « J’ai décidé de voter, étant donné que j’étais la marraine du projet de loi avant que je ne sois nommée présidente. » Elle a voté en faveur du projet de loi C-13, modernisant ainsi la Loi sur les langues officielles.
« Depuis le mois de juin 2023, à toutes fins pratiques, je n’ai voté sur aucun projet de loi », a-t-elle ajouté, son dernier vote étant le 22 juin 2023.
Occuper le siège de la présidence entraîne égale-ment la suppression de son siège au sein des comités sénatoriaux. « Ce que j’ai aimé de mes années avant ma nomination en tant que présidente, c’est de pouvoir mettre la main à la pâte. Même si j’ai encore l’occasion de rencontrer des gens de ma communauté, j’ai peut-être moins l’occasion de le faire, il faut que je l’admette. »
Parmi ses travaux, Raymonde Gagné a participé au Comité permanent des langues officielles. « Le comité me manque, parce qu’on était beaucoup plus proche des communautés et des intervenants pour vraiment entendre leurs préoccupations », confie-t-elle.
Comme sénatrice indépendante, Raymonde Gagné dit devoir faire preuve de discernement, « je reviens et je me le rappelle à chaque jour ».
« Ce n’est pas Raymonde Gagné qui est au centre de la question, du défi ou de l’enjeu. Ce sont les citoyens de ma province et ceux de ce grand pays. Il faut que je mette de côté mes propres convictions. »
Climat parlementaire
L’atmosphère parfois agitée et tendue qu’on peut voir lors de la période des questions à la Chambre des communes, n’est pas forcément présente au Sénat. D’après Raymonde Gagné, l’environnement dans la Chambre basse, peut parfois être une source d’inquiétude. « C’est préoccupant, surtout au niveau des discours qui sont entretenus entre collègues et les attaques personnelles. »
Elle ajoute que le Sénat a déjà connu ses propres moments de tension. « Une des premières décisions que j’ai eue à rendre en tant que présidente a été une question de privilège.
« Il était question de ce qui est acceptable comme discours, et comme comportement chez les sénateurs pour s’assurer qu’on soit tous en mesure d’exprimer son opinion sans être dans une situation où il y a du taxage et de l’utilisation des médias sociaux pour dénigrer la réputation de certains collègues.
« Ce n’est pas acceptable, et cela n’a pas sa place ici au Sénat et selon moi, au Parlement du Canada, qui inclut la Chambre des communes. »
La présidente du Sénat soutient qu’elle remplit une fonction « relationnelle ».
« Au niveau du fonctionnement de la Chambre haute, quel sont les pépins? Qu’est-ce qui dérange les gens? On a l’oreille au sol. Pas seulement les miennes. Mais celles de toute l’équipe. On entretient des relations avec toutes les équipes des différents groupes et bureaux des sénateurs. »
Nommée au Sénat en 2016, la représentante du Manitoba a été témoin de l’évolution du domaine. « Je suis vraiment fière de constater un changement de culture organisationnelle au Sénat depuis qu’on a une parité entre hommes et femmes, explique-t-elle. On traite de politique publique qu’on n’a probablement jamais traitée. »
Un message pour les aspirantes
La troisième femme à occuper le poste de présidente offre son propre message pour les aspirantes. « On ne sait jamais où la vie peut nous amener. Moi, je crois que si les jeunes filles de Saint-Pierre-Jolys peuvent constater que je suis présidente du Sénat, c’est possible pour n’importe qui. »
Ayant travaillé dans le domaine de l’éducation pendant plus de 35 ans, Raymonde Gagné affirme qu’il faut saisir les opportunités, insistant sur le fait que l’éducation joue un rôle important dans l’épanouissement personnel et professionnel.
« Les opportunités sont là, c’est une histoire de coeur. Il s’agit de suivre ce qui nous passionne, nous fait avancer dans notre cheminement et garder toutes nos portes ouvertes et de se faire confiance.
« Je pense que c’est un défi pour beaucoup de personnes, de ne pas suffisamment avoir confiance en soi pour même s’imaginer qu’un jour, on pourrait être assise à la table de la constitution », conclut-elle assise à la table en question.