En réaffirmant leur droit à une égalité réelle, plutôt que formelle, de services.

Me Ronald Caza, l’un des avocats à la CSC et dans les deux instances juridiques inférieures du Franco-Ontarien Raymond DesRochers et du Centre d’avancement et de leadership en développement économique communautaire de la Huronie (CALDECH), une corporation de développement économique communautaire dont M. DesRochers était le directeur général, donne le contexte :

« Le gouvernement fédéral avait environ 200 Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) à travers le Canada, dont Simcoe Nord en Ontario, qui desservait la région francophone de la Huronie où étaient installés Raymond DesRochers et CALDECH.

« Mais on trouvait que les services offerts en français par cette société de développement économique ne prenaient pas assez en considération les besoins spécifiques de la communauté francophone. »

En 2006, le manque d’équivalence entre les services en anglais et en français de la SDAC Simcoe Nord avait déjà fait l’objet d’une plainte déposée auprès du Commissariat aux langues officielles (CLO). L’enquête du CLO avait confirmé son bien-fondé.

Selon les appelants devant la CSC en effet, être capable de parler et donner les services dans les deux langues officielles ne suffit pas à bien répondre aux besoins d’une collectivité de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).

Me Ronald Caza donne pour exemple la culture de travail : « Chez les anglophones, elle est très différente de chez les francophones. Elle est plus individualiste. Raymond DesRochers disait que les rencontres de travail de francophones, c’était comme des rencontres à la maison de quelqu’un, très convivial.

« Donc si on ne fait que traduire en français des services conçus pour desservir la communauté anglophone, ces services ne répondront pas aux besoins et aux pratiques de la communauté francophone. »

« [La décision] DesRochers c. Canada (Industrie), c’est donc à la fois la reconnaissance que les CLOSM ont des besoins spécifiques, et l’obligation d’en tenir compte lorsque des services sont offerts. Et ce, toujours dans l’objectif ultime du maintien et de l’épanouissement des CLOSM. » Me Ronald Caza.

Adapter pour une réelle égalité

Un point confirmé par la juge de la CSC Louise Charron. C’est elle qui a rédigé la décision unanime prise par le banc de sept juges présidé la juge en chef Beverley MacLachlin.

La juge Charron a en effet indiqué dans le jugement que Selon la nature du service en question, il se pouvait que l’élaboration et la mise en œuvre de services identiques pour chacune des communautés linguistiques ne permettent pas de réaliser l’égalité réelle.

Autrement dit, « pour avoir des services de qualité vraiment égale, selon la CSC, il faut aller au-delà d’une simple traduction. Il faut les adapter aux besoins spécifiques de la minorité », résume Me Ronald Caza. Les services offerts ne doivent donc pas nécessairement être uniformes d’une langue à l’autre, bien au contraire.

En effet, la CSC a clarifié dans son jugement que cette adaptation des services ne devait pas être considérée comme un accommodement, mais plutôt comme une norme.

Ces obligations d’offrir des services d’égalité réelle, et non formelle, découlent de la partie IV de la Loi sur les langues officielles et de l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Changement majeur de philosophie

Me Ronald Caza insiste sur l’importance fondamentale de la cause DesRochers : « C’est vraiment crucial car la décision DesRochers s’applique à tous les niveaux de tribunaux au Canada, souligne-t-il. Tous doivent désormais considérer l’impact sur la communauté de langue officielle minoritaire, ainsi que ses besoins spécifiques, quand ils tranchent des litiges sur les offres de services du gouvernement.

« DesRochers c. Canada (Industrie), c’est donc à la fois la reconnaissance que les CLOSM ont des besoins spécifiques, et l’obligation d’en tenir compte lorsque des services sont offerts. Et ce, toujours dans l’objectif ultime du maintien et de l’épanouissement des CLOSM. »

Ainsi, la décision de la CSC en 2009 a suscité « une transformation majeure des pratiques de traitement des minorités linguistiques au sein des ministères. Ça change fondamentalement la donne d’être motivé par l’égalité réelle. D’ailleurs, cet arrêt a souvent été cité en exemple depuis, lors de litiges en matière de droits linguistiques de la minorité de langue officielle », conclut Me Ronald Caza.

Cet article est issu de notre première édition de l’année consacrée au 150 ans de la Cour suprême du Canada.