Si ce rapport confirme l’engagement de la Ville de Winnipeg à fournir un accès équitable aux services dans les deux langues officielles, des manques importants persistent encore.

Pour les bonnes nouvelles à relever, le rapport indique d’abord une augmentation notable de la capacité bilingue au sein de la Ville. En 2023, l’on comptait 596 employés bilingues, comparativement à 541 en 2022.

Aussi, après une baisse en 2022 (6 934 visites), le nombre de visites en personne au Centre de services bilingues de Saint-Boniface a augmenté pour atteindre 9 276 en 2023.

Pour l’aspect numérique, la Ville souligne plusieurs progrès. Notamment, l’augmentation du nombre de pages web traduites en français sur le site de la Ville. En effet, l’on observe une progression de 672 pages en 2019 à 3 277 pages en 2023.

S’il y a effectivement du positif à relever dans ce rapport, tout n’est pas tout rose et il reste encore du travail à faire. Sur les 162 postes bilingues requis par le règlement municipal, 72 seulement sont occupés par des personnes bilingues.

Le problème du recrutement et de la rétention semble donc persister.

Recruter et retenir

Lorsque l’on regarde les chiffres de plus près, certains services municipaux semblent plus en retard que d’autres.

Pour les services communautaires, 20 postes sur 32  requis sont occupés par une personne bilingue. Le service de police par exemple compte 18 postes comblés sur 47 requis.

Pourtant, ce n’est pas comme si rien n’était fait au niveau du recrutement. Aujourd’hui, les annonces pour les postes bilingues de la Ville sont affichées sur le site web ainsi que les réseaux sociaux de la Ville. Nicole Young, gestionnaire des services en français de la Ville indique qu’elle est mise au courant lorsque l’un de ces postes s’ouvre.

« Je vais ensuite envoyer l’annonce auprès de tous mes contacts au sein de la communauté francophone. Le 233 ALLÔ, le CDEM ou Pluri-elles par exemple. Nous avons aussi une équipe aux ressources humaines chargée de faire du outreach auprès des résidents et résidentes. » 

La gestionnaire indique par ailleurs que pour des postes de « spécialistes », le recrutement se complique davantage. « C’est là qu’on a le plus de misère, par exemple pour trouver un urbaniste ». Nicole Young explique aussi que les recrutements se font par régions et cela peut parfois poser un problème. « Si l’on trouve un urbaniste qui parle français mais que l’on recrute pour Saint-James, cette personne aura des difficultés à faire ses présentations. Car toute la documentation sera en anglais. À l’inverse, si l’on recrute pour Saint-Boniface, cette personne-là aura accès à plus de ressources en français. »

Quel soutien?

Il s’agit donc de trouver le moyen de soutenir ces employés potentiels.

« Nous allons travailler cette année auprès des gens qui occupent des postes désignés bilingues pour définir quels sont les plus grands défis, ce qui leur manque et ce que l’on peut fournir comme soutien. On pourra alors développer les outils nécessaires. »

Offrir davantage de soutien et de ressources permettrait également d’adresser le problème de la rétention.

Naturellement lorsque l’on parle de recrutement et de rétention, il faut poser la question des salaires, les postes les plus difficiles à combler, sans surprise, sont ceux qui payent le moins. Pourtant, la gestionnaire fait valoir que ces postes offrent souvent des opportunités de grimper les échelons.

« On a des postes qui requièrent une expérience, et lorsque l’on a un profil à l’interne qui correspond à l’ouverture d’un poste, nous nous tournons vers les gens qui sont déjà à la Ville. »

Quelles solutions?

Si le recrutement pose problème, est-ce que la Ville pourrait mettre en place des solutions à l’interne? Une formation en français pour ses employés par exemple? À ce propos, le conseiller municipal pour le quartier de Saint-Vital et conseiller responsable des services en français Brian Mayes, acquiesce.

« C’est quelque chose que la Ville pourrait mieux faire. À un moment donné, il faut commencer à injecter de l’argent dans ces initiatives. Les formations n’auraient pas nécessairement besoin de couvrir du vocabulaire d’ingénierie, mais nous devrions être en mesure de traiter les plaintes des citoyens lorsqu’elles concernent les eaux usées ou les égouts entre autres. »

Au cours de l’année 2023, dont traite le rapport, un rapport pour élargir les services en français de la Ville de Winnipeg avait été adopté, à l’unanimité, par le conseil municipal.

La question du financement

Pour l’heure, Nicole Young indique qu’aucune ressource, financière ou autre, n’est allouée pour la mise en place des recommandations de ce rapport. Cela ne signifie pas pour autant que la branche des services en français de la Ville n’a pas accès à du financement.

« Lorsque l’on s’attaque à un projet de livraison de services qui concerne l’ensemble de la Ville de Winnipeg, ma division est consultée, explique Nicole Young. Sous l’entente Canada-Manitoba, je peux alors soutenir financièrement la mise en place de ces services. »

Ce rapport annuel, intervient après celui présenté le 13 novembre 2024. Ce dernier concernait toute la période de 2018 à 2022 en dépit de la Charte de la ville qui stipule qu’un rapport sur les services en français doit être présenté au ministre des Affaires francophones tous les ans.

La Charte devrait dorénavant être respectée, et si les progrès sont lents, Brian Mayes se réjouit au moins de cela : « Ces rapports annuels forcent la discussion au sein du Conseil municipal et c’est une bonne chose. »

Vers un rapport pluriannuel?

À propos du rapport 2023, Jean-Michel Beaudry, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), admet qu’il est difficile pour l’heure de témoigner des progrès de la Ville.

« Sachant que le rapport de 2018 à 2022 a été présenté en novembre 2024. Alors on ne s’attendait pas à voir quelque chose de fondamentalement différent. »

Toutefois, le directeur souligne avoir déjà eu l’occasion de rencontrer et s’entretenir avec Brian Mayes à propos du prochain rapport, celui de 2024, donc.

La possibilité de voir la mise en place d’un rapport pluriannuel sur cinq ans a été évoquée.

« Avoir un plan pluriannuel, serait beaucoup plus utile pour évaluer le rendement de la ville de Winnipeg lorsqu’il s’agit de la livraison de services en français. Présentement, même si l’information est intéressante il s’agit plutôt d’un portrait général de l’année étudiée. »

Passer à un modèle pluriannuel permettrait un meilleur suivi des progrès, mais aussi des régressions. Jean-Michel Beaudry ajoute : « Ça permettrait aussi une meilleure comparaison d’année en année. Dans certains cas, les rapports parlent d’initiatives mises en place, mais on ne nous fait pas savoir si ces initiatives ont été abandonnées au cours de la même année. Le format actuel ne permet pas de vraiment mesurer les progrès ou de faire des liens avec les résolutions adoptées par le conseil et les ressources mises en place. »

Optimisme

Cette recommandation de la SFM avait déjà été adoptée par le Conseil exécutif de la ville en 2020. « Un plan pluriannuel avait été mené mais pas rendu public. »

En juillet 2023, cette recommandation a été adoptée une seconde fois.

À la suite de la conversation que nous avons eue avec le conseiller Brian Mayes, je suis optimiste que nous aurons son soutien. » Jean-Michel Beaudry se dit d’ailleurs optimiste de voir cette initiative instaurée dans le courant de l’année 2025.

Une autre recommandation de la SFM qui avait été retenue par le Conseil en 2023, était la création d’un comité chargé de faire le lien entre la communauté et les services de la ville de Winnipeg, pour émettre des recommandations à la Ville.

« Avec ces deux outils en place on espère que l’on pourra commencer à fixer des objectifs dans l’optique d’une amélioration continue, sachant que les ressources sont limitées. Même si c’est notre souhait à la SFM on sait que ça ne se fera pas du jour au lendemain. »

Les deux recommandations avaient été adoptées à l’unanimité.