Dans une circonscription au contexte particulier, celle de Churchill—Keewatinook Aski, le coût de la vie fait partie des grandes inquiétudes.
Un grand ciel bleu et de la neige à perte de vue. Si le temps était au rendez-vous ce jeudi 10 avril, la ville de Churchill n’en était pas moins calme.
En pleine campagne électorale, pour connaître les préoccupations des résidents du Nord, il faut pouvoir les rattraper lorsqu’ils passent en motoneige, les attendre à la sortie de l’épicerie ou bien jouer d’un peu de chance.
Quelles préoccupations?
Bram Mcpherson a vécu toute sa vie ici. Ce jour-là, il est de passage à l’hôtel Iceberg, où il « donne un coup de main » au propriétaire pendant la saison hivernale, qui, à en juger par la fonte des neiges et l’absence d’ours polaire se termine tout juste.
Pour le jeune homme, les principaux enjeux autour de ces élections gravitent autour de l’environnement, « en particulier pour les personnes qui travaillent dans le secteur du tourisme ».
Avant même le déclenchement des élections le 23 mars 2025, le gouvernement fédéral avait fait connaître son intérêt pour le développement du port de Churchill en annonçant notamment un investissement de 100 millions de $ sur cinq ans. Dans un contexte de guerre tarifaire avec les États-Unis, le port semble s’imposer comme une solution pour diversifier les relations commerciales et réduire la dépendance envers les É-U.
Pour Bram Mcpherson, cela pose tout de même quelques inquiétudes.
« Pendant l’été, ce sont près de 50 000 bélugas qui se trouvent dans la Baie. Alors si l’on a des bateaux qui font des aller-retour constamment, quel serait l’impact sur les baleines? » Churchill étant une ville touristique, la présence des bélugas fait partie de l’un des attraits principaux de la ville et, pour certains de ses citoyens, un moyen de gagner leur vie.
« Le prix de l’épicerie ne cesse d’augmenter, c’est très difficile. J’ai dépensé 300 $ pour deux sacs d’épicerie. Il n’y en avait même pas pour une semaine. Les produits frais sont extrêmement chers », Kristin Anderson.
Gagner sa vie
Être en mesure de gagner sa vie correctement, c’est aussi l’un des grands enjeux pour les riverains de la baie d’Hudson.
« Tout est de plus en plus cher, déplore Bram Mcpherson. Je me souviens qu’étant plus jeune, une boîte de soupe coûtait 1 $. Aujourd’hui la même boîte coûte 4 $. C’est un problème qui persiste ici. »
Justement, à la sortie du Northern Centre sur la rue principale, Kate May se dirige vers sa voiture avec quelques épiceries. Originaire des États-Unis, Kate May s’est installée à Churchill il y a maintenant deux ans. Si elle relève beaucoup de positif à vivre ici, notamment l’accès à la nature, l’amabilité des résidents, le constat est le même. « La nourriture coûte cher. Et c’est très difficile de voyager depuis et jusqu’à Churchill. »
Kristin Anderson est assise sur le perron du bâtiment de la Royal Canadian Legion. Ce dernier abrite un pub au premier étage, et une grande salle au second. Kristin Anderson, elle, s’apprête à animer la soirée de bingo qui s’y prépare. Pour l’heure, la jeune femme n’est pas certaine qu’elle ira voter ce 28 avril 2025. « Mais je peux changer d’avis, peut-être si je me renseigne davantage sur les plateformes. »

Si elle n’est pas complètement au fait des plateformes politiques des candidats, Kristin Anderson sait tout de même quelles sont les priorités à Churchill.
« Le prix de l’épicerie ne cesse d’augmenter, c’est très difficile. J’ai dépensé 300 $ pour deux sacs d’épicerie. Il n’y en avait même pas pour une semaine. Les produits frais sont extrêmement chers. »
Pour se faire une idée, La Liberté est allée faire un panier d’épicerie somme toute assez classique : du pain, une douzaine d’œufs, du beurre, 400 grammes de viande hachée, un oignon, deux tomates, des pâtes et de la sauce tomate.
Au total, La Liberté a déboursé 63,88 $ à Churchill. Le même jour, l’équipe qui est restée à Winnipeg a fait exactement le même panier et en a eu pour 33,08 $.

À noter que le salaire minimum dans le nord est le même que dans le reste de la province, à savoir 15,80 $ par heure.
Selon les derniers chiffres de Statistique Canada, datant de 2020, le revenu médian annuel pour Churchill était de 46 800 $ contre 36 600 $ à Winnipeg.
L’enjeu du port de Churchill
À l’étage, la soirée bingo s’apprête à commencer. Un feutre dans une main, des grilles dans l’autre, une douzaine de personnes s’installe sur les tables.
Patricia Cameron tient la buvette. Elle vit à Churchill depuis 30 ans.
Lorsqu’on lui parle de ses préoccupations quant aux élections à venir, elle pense directement à l’argent promis pour le port de Churchill.
« Peu importe combien, mais il faut continuer de leur donner pour poursuivre les opérations et que le port puisse continuer de faire travailler les gens de la communauté. »
Son visage se durcit lorsque l’on parle du prix de l’épicerie, « comment voulez-vous que l’on mange correctement lorsqu’un galon de lait est plus cher que le soda? »
Les prix de l’épicerie s’envolent
« Nos aînés qui vivent avec une pension ne peuvent pas se permettre de manger correctement. » Patricia Cameron fait remarquer que la participation aux soirées bingo a grandement diminué au fil du temps, elle se souvient de soirées où près de 60 personnes étaient présentes contre 14 ce soir-là. Elle y voit une corrélation avec l’augmentation du coût de la vie.
« Si l’on garde nos tickets de caisse d’un mois à l’autre, l’on peut voir les prix grimper. Il faudrait que l’on remette en place le programme de Food mail. »
Un programme gouvernemental qui prenait en charge une partie des coûts d’acheminement des denrées périssables et autres produits essentiels.
Des coûts qui peuvent s’avérer assez importants. Dans l’avion à destination de Churchill, une grande partie des sièges étaient occupés par tout un tas de sacs de produits divers.
Le programme a été remplacé en 2011 par le Nutrition North Canada, toutefois, le maire de la ville Mike Spence, indique que Churchill ne fait pas partie de ce programme-là. « Nous n’y avons pas droit car nous sommes accessibles par voie ferrée », explique-t-il.
Quels investissements?
Churchill bénéficie en revanche du programme provincial Affordable Food in Remote Manitoba (AFFIRM). Les subventions sont versées directement aux détaillants participants, qui doivent réduire les prix des aliments pour les consommateurs.
Patricia Cameron fait aussi mention de la difficulté à voyager. Pour des rendez-vous médicaux à Winnipeg par exemple, la fréquence des vols oblige les résidents de Churchill à passer plusieurs jours à l’hôtel, à leurs frais, « et en plus, c’est du temps pendant lequel je ne peux pas travailler ».
La solution selon elle, c’est de poursuivre les investissements auprès du port et des voies ferrées.
Joanne Campbell fêtera ses 72 ans cette année. Dans son petit bureau à l’étage de la Royal Canadian Legion, elle s’occupe bénévolement de la trésorerie de la légion, entre autres. Ce jour-là, elle aide à l’organisation du bingo auquel elle participe également.
« J’ai grandi ici dans les années 1950-1960. À l’époque, c’était très rare de voir un ours polaire en ville. Il y avait beaucoup de militaires ici, beaucoup de travail et les gens trouvaient facilement un logement. »
Les époques ont changé
Elle constate avec une pointe d’amertume que les choses ont beaucoup changé depuis.
« Il n’y a plus tant de travail ici, on voit beaucoup de jeunes sortir du secondaire et il n’y a rien pour eux ici. S’ils ne partent pas pour poursuivre leurs études, ils restent ici et ne font rien. Cette ville est une ville touristique et si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas grand-chose à faire. »
Une fois encore, la sécurité alimentaire est source de frustration pour cette retraitée encore très active.
« Je ne comprends pas comment l’on peut justifier de tels prix. Pas seulement ici, mais partout dans le nord. Je ne vais quasiment plus au magasin. Mes enfants vivent dans le sud de la province et je les envoie faire mon épicerie pour moi là-bas. Elles me les envoient ensuite par la poste, parce que ça me revient moins cher de faire ça que d’aller faire mon épicerie ici. »
À son âge, Joanne Campbell a décidé de ne plus vraiment s’inquiéter, mais l’on a toujours espoir que les élections de cette année permettront de changer les choses pour le mieux.
Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »