Pendant la campagne électorale, les réseaux sociaux ont constitué un outil de marketing extrêmement avantageux : ils sont gratuits et permettent aux candidats de joindre des millions de Canadiens là où ils passent déjà beaucoup de temps.
Mais comment chaque parti se comporte-t-il sur ces plateformes, et cela affecte-t-il la manière dont il se présente? Voyons comment les quatre principaux partis – les conservateurs, les libéraux, le NPD et les Verts – utilisent leurs réseaux Facebook, Instagram et X pour stimuler leurs campagnes.
Tout d’abord, parlons de l’éléphant dans la pièce. Qu’en est-il de TikTok?
Bien que TikTok ait fait partie intégrante de la stratégie de campagne des partis lors des élections de 2021, l’interdiction de l’application sur les téléphones du gouvernement en février 2023 a effectivement mis fin à son utilisation par les partis majeurs.
Le NPD a toutefois réactivé son compte TikTok par la suite, défiant les règles de Sécurité publique Canada selon lesquelles la plateforme pourrait poser des risques en matière de sécurité, de protection de la vie privée et d’ingérence étrangère.
C’est désormais le seul grand parti fédéral à avoir un compte TikTok, ce qui n’est peut-être pas surprenant étant donné que les jeunes électeurs constituent historiquement une grande partie de sa base électorale.
Les réseaux comme outil de marketing
Si chaque parti utilise diverses plateformes pour se vendre, leur objectif sur ces sites diffère de celui d’autres comptes qui utilisent les médias sociaux comme outil promotionnel.
Selon Heidi Tworek, professeure adjointe d’histoire internationale et de politique publique à l’université de Colombie-Britannique, pendant les campagnes électorales, les partis doivent réfléchir à la manière d’utiliser les médias sociaux à la fois pour s’assurer une large portée, mais aussi pour « potentiellement découper l’électorat » afin d’atteindre, autant que possible, les groupes démographiques qui sont les plus susceptibles d’être leurs électeurs.
« Ce qu’on essaie de faire avec les réseaux sociaux, ce n’est pas nécessairement de persuader les gens de voter pour soi, mais plutôt de s’assurer d’augmenter le taux de participation des personnes qui sont susceptibles de voter, » dit-elle.
« Ce que nous savons d’après les recherches, c’est qu’il s’agit souvent d’un moyen de motivation. Une publicité ne va pas complètement vous faire changer d’avis et passer d’un électeur néo-démocrate à un électeur conservateur, mais il s’agit plutôt d’essayer d’utiliser les médias sociaux pour, par exemple, sensibiliser les gens à vos positions politiques afin de renforcer leur engagement à voter pour vous. »
Et bien sûr, les différents partis utilisent les réseaux sociaux différemment en fonction des régimes médiatiques de leurs électeurs potentiels.
Le Parti libéral
D’après ce que nous avons observé, les libéraux sont le parti le plus actif sur les réseaux, à la fois en termes de nombre de publications et d’étendue des plateformes utilisées : ils postent plusieurs fois par jour sur Instagram, X et Facebook, mais aussi sur LinkedIn, Threads et Bluesky.
Leur stratégie semble très fortement axée sur l’idée que ce parti a quelque chose à offrir à tout le monde.
Non seulement ils dupliquent chaque post en publiant une version en anglais et une en français, et ce, sur chaque plateforme, mais la quantité de publications qu’ils mettent en place leur permet de faire de la publicité selon les saveurs de chacun.
Il y a des publications qui critiquent Pierre Poilievre et son parti ; qui jouent sur une rhétorique nationaliste et anti-Donald Trump ; qui ciblent certains groupes comme les étudiants et les communautés minoritaires ; qui partagent les points les plus saillants des questions de leur plateforme principale ; et qui discutent spécifiquement les qualifications de Mark Carney.
Leurs principales plateformes sociales se composent d’un mélange varié de vidéos verticales, de publications d’articles fréquents, d’infographies, d’images, etc.
En d’autres mots, la stratégie du Parti libéral vise clairement à ratisser large, en essayant de rester le plus possible sur le fil d’actualité de chaque Canadien.
Mais est-ce que ça fonctionne? Bien que les taux d’engagement des publications du Parti libéral semblent sains, avec un nombre constant de réactions et de commentaires, leurs sections de commentaires sont jonchées de remarques négatives, d’opinions d’électeurs mécontents, de longs paragraphes contre le parti, et de soutien au parti Conservateur.
Par rapport aux autres partis, les sections de commentaires des libéraux sont effectivement les plus incendiaires et les plus critiques.
Le Parti conservateur
Les Conservateurs, quant à eux, ont une stratégie plus ciblée sur les médias sociaux que les libéraux. Alors qu’ils publient aussi plusieurs fois par jour depuis le début des élections, beaucoup plus de leurs messages se concentrent sur la critique des libéraux et de Mark Carney, ainsi que sur les points de discorde et les frustrations des Canadiens.
Les conservateurs publient aussi beaucoup moins de messages en français que les libéraux, ce qui pourrait s’avérer stratégique étant donné que le Québec est la région qui affiche le plus faible pourcentage d’électeurs conservateurs attendus (23 % au Québec contre 34 à 58 % partout ailleurs), peut-être parce que le vote de droite dans la province francophone est partagé avec le Bloc Québécois.
Même sur les pages officielles du parti, on peut constater la présence beaucoup plus faible des francophones dans la démographie conservatrice : le parti a deux pages X distinctes pour l’anglais et le français, et bien que le compte anglais ait plus de 361 000 abonnés, le compte français n’en a que 11 000.
Mais une analyse des réseaux sociaux des Conservateurs ne serait pas complète sans prendre en compte les pages personnelles du chef du parti, Pierre Poilievre, qui ont toutes énormément plus d’abonnés que les pages officielles du parti.
Sur X, Poilievre compte 1,4 million d’abonnés, soit près de quatre fois plus que le compte de son parti. Sur Instagram, sa page personnelle compte dix fois plus de d’abonnés que le compte conservateur officiel.
Et la manière dont il exploite ses pages personnelles est remarquable : alors que les pages personnelles de Mark Carney ont tendance à recycler le contenu publié sur les comptes officiels du Parti libéral, Pierre Poilievre reprend et offre des commentaires sur des évènements d’actualité, ce qui le fait paraître plus impliqué et plus proche des Canadiens sur les médias sociaux.
De même, les pages du Parti conservateur ont tendance à avoir un engagement positif constant, même pour les rediffusions des longues vidéos en direct de Pierre Poilievre lors de rassemblements et d’allocutions.
Les commentaires sur les comptes du parti sont généralement favorables et soutiennent les messages du parti, contrairement aux commentaires des comptes des libéraux, ce qui peut indiquer pourquoi les réseaux sociaux sont une partie si importante de la stratégie de marketing du parti.
Pour les conservateurs, la tactique semble moins viser une visibilité étendue que celle des libéraux, mais plutôt l’exploitation de la personnalité de Pierre Poilievre et l’utilisation des médias sociaux pour consolider le vote des citoyens qui ont déjà un penchant pour le bleu.
« Utiliser les médias sociaux pour attirer les électeurs en direct est une bonne stratégie, » explique Heidi Tworek, « en particulier pour les conservateurs qui seraient très intéressés par cette même démographie qui utilise les médias sociaux pour essayer de pousser ces électeurs à se rendre aux urnes. »
« Les jeunes hommes en particulier ont joué un rôle clé dans la stratégie de la campagne de Trump lors des élections américaines.
C’est une leçon en termes de dynamique : le taux de participation des jeunes n’est pas aussi élevé que celui des plus de 55 ans, mais il a été plus élevé que prévu. »
Le NPD et les Verts
Bien que le NPD et le Parti Vert aient moins d’abonnés que les libéraux et les conservateurs, cela ne les a pas empêchés d’avoir des comptes sociaux très actifs.
Le NPD utilise notamment ses réseaux pour partager des message critiques des libéraux et de Mark Carney, en plus de publier des slogans faciles à repartager par leurs partisans, tandis que les comptes du Parti vert se consacrent à partager leurs priorités politiques en ce qui concerne les questions de l’environnement et de disparité des richesses.
Bien que les deux partis aient moins de vidéos que les libéraux et les conservateurs, le NPD et les Verts ont beaucoup d’infographies et de photos, un effet secondaire possible du fait qu’ils sont des partis plus petits avec des budgets de marketing plus modestes.
Comme le mentionne Eric Merkley, professeur adjoint de sciences politiques à l’Université de Toronto, un changement important dans la manière dont chaque parti fédéral se vend s’est produit avec l’introduction par le premier ministre Jean Chrétien de réformes du financement des élections en 2004.
Alors que les partis recevaient d’importantes sommes d’argent de la part de corporations et de syndicats qui « jouaient sur les deux tableaux » et mettaient leurs œufs dans plusieurs paniers, la réforme a fixé une limite au montant qu’une seule personne ou organisation pouvait donner.
Ce qui a poussé les partis à s’appuyer seulement sur le montant qui leur était donné en subventions en fonction du nombre de votes qu’ils recevaient – un système interrompu en 2015 par le gouvernement Harper – ainsi que sur les collectes de fonds.
« Cela fait réfléchir à ce que les partis doivent faire dans cette nouvelle ère afin de garder les lumières allumées, » déclare Eric Merkley.
Pour le NPD, cela s’est peut-être traduit par un plus grand nombre d’appels aux bénévoles que pour les autres partis, dont ils font beaucoup de publicité sur leurs comptes sociaux.
Le parti organise fréquemment des banques de téléphones et de textos gérées par des équipes de bénévoles qui joignent des électeurs indécis et tentent de gagner leurs votes.
Cependant, peut-être en raison du nombre de bénévoles disponibles et volontaires, ces événements n’ont ciblé que les Canadiens anglophones, perdant ainsi des conversations avec les électeurs francophones.
Les autres enjeux des réseaux sociaux pour cette élection
Autre que la manière dont chaque parti utilise les réseaux sociaux pour sa campagne, d’autres facteurs doivent être pris en compte à l’approche du jour du scrutin. La désinformation et les contenus générés par l’intelligence artificielle pourraient contribuer à ce que les électeurs soient moins bien informés avant de se présenter aux urnes.
La professeure Heidi Tworek affirme que plusieurs facteurs, dont l’interdiction des nouvelles sur les plateformes sociales comme Instagram et Facebook, pourraient avoir une incidence sur les élections. « Une partie de ce que ça crée est un vide d’information, qu’il est donc plus facile de remplir avec des informations de moindre qualité, de l’IA générative, des publicités. etc. »
« L’autre chose qui a changé depuis les dernières élections fédérales, c’est que la barrière d’entrée pour la création d’images et d’articles d’IA générative est beaucoup plus basse. »
Et les contenus hypertruqués ont déjà été utilisés pour créer des fausses représentations de candidats afin de créer des arnaques publicisées en ligne, le plus souvent sous la forme de versions IA de chefs de parti approuvant de diverses fraudes à l’investissement.
Heureusement, Heidi Tworek affirme qu’elle n’a pas encore vu de contenu d’IA destiné à fausser les votes ou à influencer les résultats des élections, mais elle ajoute qu’il faut rester vigilant.
« Je n’ai pas encore vu d’exemples de ce genre. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Le Réseau canadien de recherche sur les médias numériques (RCRMN) a créé une ligne de signalement des menaces numériques pour les élections, qui permet aux citoyens de signaler tout contenu qui leur semble suspect. »
Le RCRMN enquête ensuite sur chaque entrée, dans l’espoir de freiner la désinformation du public canadien et d’enregistrer les progrès de la désinformation au cours de la saison électorale.
Cette couverture électorale a été rendue possible grâce au Fonds « Couvrir le Canada : Élections 2025 »