Madame la rédactrice,
Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions de l’éditorial intitulé « Le “coût” du bilinguisme » publié dans votre édition du 1er au 7 février 2012. Mais j’aimerais toutefois apporter une nuance importante à l’argumentaire présenté en début d’éditorial lorsqu’il est écrit que « Personne ne conteste les chiffres (je suis tout à fait convaincu que l’on sait faire des additions à l’Institut Fraser) ». Eh bien, moi je conteste, non seulement les chiffres, mais aussi, et surtout, la méthodologie utilisée.
Premièrement, l’Institut Fraser est incapable d’identifier correctement le nombre des francophones au Canada. En effet, cette étude compte uniquement les citoyens qui ont le français comme langue maternelle, laissant de côté les enfants des couples exogames, ainsi que toutes ces personnes venues d’ailleurs qui n’ont pas le français comme langue maternelle mais qui connaissent, parlent et vivent la francophonie canadienne. En Ontario, cette absence signifie une baisse de quelque 100 000 francophones. Difficile d’asseoir une crédibilité avec un tel faux départ!
Deuxièmement, cette étude comporte, selon moi, une série d’improvisations risquées et difficiles à suivre sur le plan de la méthodologie. Par exemple, on suppose que des services en français sont dispensés dans des hôpitaux à Cornwall, Hawkesbury, Ottawa, Sudbury et Timmins et on estime leur coût à 5 millions $. Et voilà. Sans aucune autre justification! Autre exemple : on y mentionne des coûts pour la Ville de Toronto pour des obligations que cette ville n’a pas! De plus, on prétend dans cette étude que seuls les francophones unilingues ont réellement besoin de se faire servir en français, et donc, on « calcule » par des chemins tortueux et non scientifiques combien il en coûte pour offrir de tels services uniquement à ces gens-là. La liste est longue, mais je m’en voudrais de ne pas faire mention d’une dernière improvisation. L’étude évalue les coûts du bilinguisme à partir de l’hypothèse que l’on pourrait s’en départir (de trois façons : en se fiant aux services aléatoires de fonctionnaires qui seraient bilingues, en se servant d’amis bilingues pour aider les francophones unilingues, et en ayant recours à votre propre interprète — ça ne s’invente pas!).
Enfin, cette étude ne tente pas d’analyser les coûts d’un mauvais service en français, particulièrement dans le domaine de la santé, que ce soit une mauvaise compréhension d’une prescription ou d’une interprétation erronée des symptômes d’un patient. Pourtant, les exemples sont légion où le citoyen doit retourner une autre fois voir le médecin ou un autre professionnel de la santé, doublant ainsi les coûts aux contribuables. Plus fondamentalement encore, cette étude laisse tout simplement croire que le bilinguisme institutionnel est quelque chose d’optionnel, et que l’on pourrait s’en départir. Majority rules.
Mais ce n’est pas cela une démocratie. Une démocratie prend soin de ses minorités, tout comme nous prenons soin des personnes vulnérables. Et ce n’est pas optionnel, car le bilinguisme fait partie de notre identité canadienne, avec toute la complexité, la diversité, et la beauté de chaque individu, qu’il soit francophone, autochtone, allophone ou anglophone.
Me François Boileau
Le commissaire aux services en français de l’Ontario | Toronto (Ontario) | Le 15 février 2012